Quand je regarde l'Afrique de loin--je veux dire d'Europe où ses circonstances m'ont exilé--je n'éprouve aucune fierté et c'est peu dire. La tristesse m'assaille, et la honte me prend à la gorge à la limite de l'étouffement et de la nausée. Le constat est encore plus écoeurant lorsque, dépassant la généralité d'un jugement anonyme, je porte le regard sur les leaders, les personnes de chair et de sang, ceux qui, à coups de coup d'État, d'élections truquées, de démocratie théâtrale, de corruption et de guerres se battent pour la diriger dans chacune de ces soi-disant nations. Nations pour rire, et sans doute pour pleurer… En tant que Dahoméen, le seul homme d'État de mon pays dont j'ai des raisons d'être fier est Béhanzin Aïjirè. Je précise bien Aïjirè car tous ceux qui portent aujourd'hui ou même qui portaient hier le nom de Béhanzin ne sont pas forcément de la même graine de héros de l'indépendance et de la dignité que lui. Depuis la défaite du grand homme, sa race et la nôtre se sont abîmés dans une culture de trahison, de haine de soi, de démission, de compromission, de gain facile, de reniement, de génuflexion et de reptation : toutes choses contre lesquelles Béhanzin lutta toute sa vie et jusqu'à la mort. À l'échelle africaine, je ne connais que deux ou trois noms de chefs d'État qui inspirent fierté et respect. Nelson Mandela, le combattant du régime raciste d'Afrique du Sud, l'ex président de ce même pays, qui n'a pas conçu de l'incrustation au pouvoir le sens d’une vie toute entière dédiée à élever le niveau matériel et moral de son pays. Je me demande toujours quelle nature de pachyderme constitue la faune des dirigeants de l'Afrique à se refuser obstinément de prendre leçon de l'éthique et de l'esthétique politique de Nelson Mandela, de son geste et de sa geste. Cette façon que le spectacle de désolation, d'égoïsme et d'irresponsabilité qu'ils projettent à la face du monde a de s'inscrire en faux contre tout ce que Nelson Mandela représente, a fait, et incarne encore pour les nombreuses générations à venir. Il est vrai qu'il n'y a pire sourd ou pire aveugle que celui qui ne veut pas entendre ou celui qui ne veut pas voir… L'autre héros mémorable dont la pensée me console de la déraison généralisée et de la bêtise qui se donnent à voir sur l'échiquier politique africain est Thomas Sankara, l'homme épris de justice, de dignité d'intégrité et d'espérance pour son pays--le Burkina Faso--et pour l'Afrique tout entière pour laquelle il souffrit et se sacrifia. Que celui qui a tué ce digne fils de l'Afrique, l'incarnation moderne de son refus de courber l'échine et de sa confiance en l'avenir, que son assassin continue aujourd'hui à parader et à jouer les multimédiateurs en Afrique est la preuve même de cette ironique perversion de la situation de l'Afrique, de son arriération et de son malheur. En ce qui concerne le Bénin, ce n'était pourtant pas l'opportunité de relever la tête qui nous fait défaut depuis que Béhanzin nous a quitté. Lui-même ne nous avait-il pas dit dans son célèbre discours d'adieu que la vie devait continuer après lui ? Une vie de dignité et d'honneur s'entend. Mais le héros immortel ne semble pas avoir été entendu. Les clameurs infâmes de la division ont fait écho à son appel. Depuis 50 ans, l’irresponsabilité, la médiocrité et la corruption se donnent libre cours au sein de l'élite gouvernante. Le chacun pour soi, et surtout la haine de soi sont devenus une seconde nature. L’irresponsabilité et l'inconscience sont légions. Je n'en veux pour preuve que ce qui s'est passé lors de la dernière élection présidentielle où un homme arrivé démocratiquement au pouvoir en 2006 s'est mis en tête de ne plus le quitter quoi qu'il arrive. Cette décision autoritaire, irrationnelle et scandaleuse a, dès lors, orienté toute ses actions. Cette irrationalité téléologique a été
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placée au devant de tout et à conditionné tout le reste : l'éthique, l'économie, la justice, la cohésion nationale ; l'espérance du peuple a été sacrifiée à cette volonté arbitraire fondée sur le culte de la personnalité, le régionalisme et une idiosyncrasie complexée. Pour confisquer le pouvoir, on a fait une farce électorale basée sur une élection sans liste électorale publiée ; la LEPI qui devait être un outil de développement n’a été en fin de compte qu’un tissu d'Arlequin fait de bric et de broc tronqué, truqué pour atteindre des résultats que le pouvoir s'était fixé à l'avance ! L'homme qui était en charge directe de la LEPI est un soi-disant docteur en sciences politiques, qui aurait fréquenté des universités, et écrit une thèse ; pourtant sa science ne lui a servi qu’à plonger davantage le peuple dont il est issu dans les ténèbres de l'arriération et de l’injustice. Pour des intérêts régionalistes et égoïstes, sa réussite personnelle, un maroquin de Ministre des affaires étrangères de quoi jouir, se déployer dans son bon plaisir. Et c'est cela que le docteur en sciences politiques conçoit comme politique : quelle misère mentale et intellectuelle ! À quoi cela sert-il donc aux Africains d'être instruits si c'est pour aggraver la situation de leurs congénères, les enfoncer dans les ténèbres ? Qui pourrait croire que l'élite africaine elle-même--depuis la tourbe infecte des dirigeants plus ou moins autoproclamés jusqu'à l'intelligentsia composée surtout de singes savants qui les entourent,--qui pourrait croire que tous ces gens sont eux-mêmes directement responsables du malheur de l'Afrique ? L'histoire officielle nous a pointé du doigt des responsables du malheur de l'Afrique. Nous étions censés penser que l'esclavage et le colonialisme sont les causes de notre malheur. Mais à voir le spectacle débile et affligeant que projette l'Afrique sur l'écran du monde, il apparaît que ces deux coupables désignés ne sont que des prétextes à notre vénalité, notre médiocrité, notre bêtise, notre bestialité notre irresponsabilité. La LEPI devait être un outil de développement au service de de la rationalité légale. Mais dans l’irrationalité la plus illégale, les docteurs Yayi et Bako en ont fait un super outil de supercherie, d'escroquerie, de corruption, d'injustice et d'obscurantisme. Et pourtant rien ne les obligeait à prendre cette sombre option ! Quand on voit ce haut degré de triomphe de la bêtise et des ténèbres dans un monde qui avance, comment peut-on encore parler de fierté d'être africain ? Comment regarder vers un continent où les justes sont éliminés et les corrompus paradent au pouvoir? Bertin Adoukonou |
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