Le traitement différentiel par les politiques et médias occidentaux des vétos chinois et russe contre la résolution du Conseil de sécurité de l’ONU sur la Syrie proposée par les Etats-Unis et leurs alliés, est à plus d'un titre significatif. En effet partout dans la presse occidentale de l'Europe aux USA, dans les médias, on ne parle que de l'indignation des occidentaux--politiques et diplomates--contre la Russie. Mais aucune évocation de la Chine, comme si le véto chinois ne comptait pas. Le silence complet sur la Chine sous ce rapport qui va de pair avec des réactions que le Ministre des affaires étrangères russe Sergueï V. Lavrov a qualifié sans exagération d’hystériques ne manque pas d'explication. Le but de ce traitement différentiel est aussi subtil qu'évident aux yeux de l'observateur avisé. En effet, en choisissant de ne parler que du vote russe au point d'en éclipser la position chinoise similaire, les médias occidentaux, à l'instar de leurs milieux et dirigeants politiques, visent plusieurs objectifs. D'une part, comme il est efficace de n’élire qu'un seul bouc émissaire à la fois, la Russie a été choisie pour être le bouc émissaire du blocage de la situation syrienne au niveau du conseil de sécurité ; comme si l'intervention de l'ONU avait valeur de baguette magique dans une crise dont la durée et la dureté en viennent même à faire douter de la nature en tant que contestation politique d'un régime qui pourrait elle-même reconnaître et accepter ses limites ; se donner des pauses et éviter de s'enfermer dans un radicalisme manichéen. Qu’est-ce qu’il a de démocratique de s’opposer à un régime de façon inflexible et sans concession, et de n’opposer que le langage de la radicalité et de la table rase comme si on avait la science infuse de la Démocratie dans son camp ? L'autre raison de la concentration de l'émoi occidental causé par les vétos russe et chinois au conseil de sécurité sur la seule Russie est que ce choix vise à mettre en lumière, selon le procédé du consensus frauduleux, le fait que la Russie agissait uniquement en fonction de ses intérêts, militaire, économique et stratégique (les contrats d'armement, les navires et sous-marins russes envoyés dans la région etc.). Cette insistance sur la position russe qui va de pair avec le silence total sur le cas et la position chinois dans les médias occidentaux vise à ramener la position de la Russie à la seule question des défenses d'intérêts économique, politique et militaire bien compris. Or, que ce soit la Russie ou la Chine, les deux pays qui ont opposé leur véto lors de ce vote sur la Syrie avaient plus qu'une question d'intérêt économique à faire-valoir : il y avait aussi en jeu et ce de façon tout aussi importante une double problématique morale et idéologique. En clair, ce qui oppose la Russie et la Chine d'une part et les pays occidentaux d'autre part sur le dossier syrien allait bien au-delà de la question des intérêts et touchait aussi à la morale et à l'idéologie. Et le cas chinois sur lequel un silence de mort confinant presque au mépris a été étendu prouve si besoin est cette évidence. En effet la question morale est posée par l'attitude occidentale lors de la résolution 1975 sur la Libye. Résolution sur le vote de laquelle la Russie et la Chine s'étaient au moins abstenues dans l'espoir que son utilisation allait rester dans les limites de sa lettre. Or, comme chacun sait cette résolution fut allègrement détournée de ses buts et fit l'objet d'un abus scandaleux de la part de l'équipée occidentale menée par les incitations et l'activisme crapuleux des Sarkozy et autres Cameron, qui agissaient de façon inconséquente et bestiale sans souci du lendemain. L'idée qui resta en travers de la gorge des Russes et des Chinois c’est que les USA et leurs petits alliés européens avaient abusé de la
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résolution 1975 en contribuant à renverser le colonel Kadhafi qui a été par la suite assassiné. A moins de vouloir jouer faussement les naïfs, comment alors croire que ces deux pays accepteraient de si tôt de voter une autre résolution concernant un autre pays arabe sans y regarder de près ? Que ce soit sur le dossier syrien comme en général on ne peut pas ramener l'opposition de l'Occident avec des pays comme la Russie et la Chine aux seules questions d'intérêt.On doit aussi considérer les dimensions morale et idéologique de leurs différences. L'une des preuves de cette nécessité de nuancer la motivation de la position des Russes et des Chinois vis-à-vis des occidentaux sur les questions touchant aux affaires du monde, est donnée par le fait que l'existence d'intérêts bien compris vis-à-vis du régime libyen n'avait pas empêché ces deux pays de faire le jeu des occidentaux de voler au secours des insurgés libyens en permettant, par leur abstention, le vote de la résolution 1975 ; résolution dont l'abus pose qu'on le veuille ou non une question de confiance et de morale. Donc en faisant mine non seulement de ne s'en prendre qu'à la Russie sur la question de l'échec de la résolution sur la Syrie mais aussi en passant sous silence la position de la Chine, les acteurs et médias occidentaux ne visent, dans une démarche frauduleuse, qu’à dénier le fait moral et leur responsabilité dans le climat des transactions diplomatiques favorables à une entente au sommet. Après avoir trompé les Russes et les Chinois sur le dossier libyen en abusant de la résolution 1975, faire comme si ceux-ci allaient à nouveau dans un vote au conseil de sécurité des Nations unies, et qui plus est sur un pays arabe, leur donner le bon Dieu sans confession et entrer dans leur jeu sans hésitation, est au mieux de l'hypocrisie, une amnésie délibérée, ou au pire une dénégation cynique de responsabilité. Tactique ou attitude dont Russes et Chinois, qui ne sont pas nés de la dernière pluie, ne sont pas dupes, et qui, comme on le voit, les laissent parfaitement de marbre. Prof Anatole Bèwa (Ph. D, ULB) |
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