Quand on considère deux pays comme le Nigéria et le Bénin qui ont la même structure géographique, culturelle et ethnique, on se rend compte de l'existence d'un biais sociologique dans les diverses formes de la représentation nationale. Bien qu'il saute aux yeux et traduise la mesure de notre inconscience collective, de notre soumission à ce qui nous apparaît comme normal ou le fait d'une fatalité, ce biais n'est que la manifestation de la violence paternaliste que secrètent la domination coloniale et ses formes actualisées. De quoi s'agit-il ? Demandez spontanément les noms de deux ou trois écrivains de ces deux pays, et on vous dira au hasard pour le Bénin : Jean Pliya, Agbossahessou, Olympe Bhêly-Quenum, Nouatin Théophile, etc. ; et au Nigéria, on citera bien sûr, les noms bien connus de Wole Soyinka, Chinua Achebe, Cyprien Ekwensi, Elechi Amadi, et ceux moins connus de : Ben Okri, Gabriel Okara, Flora Nwapa, Hubert Ogunde, Duro Ladipo, etc. De même, si on vous demande à brûle-pourpoint de donner les noms de chanteurs de ces deux pays vous direz pour le Bénin : Polyrythmo, Gnonnas Pedro, Stanislas Tohon, Angélique Kidjo, Solah Georginah, GG Vickey, etc. ; et pour le Nigéria vous pouvez citer : Fela, Nico Mbarga, Ebenezer Obey, Haruna Ishola, Sikiru Agninde Barrister, Sunny Ade, Siji ou Sade, etc. si le coeur vous en dit. Dans ces deux domaines qui concernent la culture et ce qu'il devait y avoir de plus représentatif d'une nation parce que touchant au plus intime d'elle-même, de son esprit et de son âme, le nombre de ressortissants du Nord est quasiment nul ! Nos frères du Nord sont aux abonnés absents : ni vus ni connus… Ça ne les intéresse pas, c'est pas leur tasse de thé. Or, dès qu'on bascule dans le domaine politique, c'est le raz de marrée : le rapport inverse s'impose. Les nordiques sont partout dans l'espace politique et poussent comme des pâquerettes : au Bénin, les Kérékou, les Yayi, les Madougou, les Bio Tchane, les Alassane Soumanou, les Ndouro et autres Kessile sont légion. Au Nigéria, c’est la même chose ou pire. Regardez la liste des dictateurs ou présidents depuis l'indépendance, de Gowon à Atiku en passant par les Shehu Shagari, Buhari, et autres Sanni Abacha ou Babangida et vous aurez une idée de la pléthore de représentants originaires du Nord dans l'espace politique de ce pays frère. Un véritable envahissement ! Et cet envahissement ramené aux sphères concrètes du pouvoir comme la présidence de la république, les institutions clés, le gouvernement, donne lieu à une disproportion qui, puisqu'il s'agit de représentativité, pose la question de l'équilibre de l'expression démocratique de la population. Par exemple pour la présidence de la république seule au Bénin sur 50 ans d’« indépendance »ce poste n'a effectivement échu à un ressortissant du sud qu’une seule fois et ce durant cinq ans alors que le sud représente pas moins de 60 % de la population et structurellement fournit plus de 70 % des lettrés et diplômés du pays. Le plus révoltant dans ce phénomène naturalisé c’est qu’il se déroule en plein jour grâce à la collaboration de quelques barons du sud qui en tirent gloire, richesse et satisfaction sur le dos de leur congénères du sud souvent au nom d'une bonne volonté nationale qui n'est jamais payée de retour. Pourquoi, les écrivains ou les musiciens et autres chanteurs qui représentent le Bénin urbi et orbi sont-ils tous du sud alors que nos présidents, ministres et autres personnages politiques sont en grand nombre du Nord et que la fonction politique en général donne lieu à une invasion tenace des ressortissants du Nord ? Comment peut-on comprendre et accepter cette division ethnique et régionaliste du travail sociopolitique qui s’administre en dépit du bon sens et de la justice ? Eh bien l'hypothèse la plus plausible est que ce biais émane a priori de la volonté du colonisateur, qui l’encourage et l’impose dans son intérêt bien compris.
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Que ce soit Maga ou Gowon, c'est le colonisateur qui impose le nordique parce que, comme lui, celui-ci est minoritaire et est plus enclin à lui faire des concessions au détriment d'un pays dont le sort ne le touche pas tant que ça sorti de son petit cadre tribal, familial ou personnel. C'est sa façon à lui, en politique du Nord minoritaire, président nordique, ministre du nord, de se venger de sa minorité complexée et complexuelle que lui impose la réalité historique, géographique, économique et sociologique qu'il n'a de cesse de combattre ou de subvertir. Et comme dans les métiers de l'esprit et des arts il est difficile de forcer la main ou d’imposer l'arbitraire, dans ce domaine, le nordique pour des raisons sociologiques et historiques se fait rare et fait profil bas sinon piètre figure. Dès lors, dans ces domaines, il est difficile d'envisager sa représentativité, alors que dans l'intérêt même du néocolonialisme et de ses structures établies le sudiste fait bien l'affaire : chrétien, acculturé, aliéné et près à l'emploi. Au total, dans notre sous-région--le constat peut être étendu du Nigéria jusqu'en Côte d'Ivoire en passant par le Ghana et le Togo -- est à l'oeuvre et soutenue de l'extérieur par la domination raciste du système colonial, une logique d'usurpation de la représentativité politique qui confine à la surreprésentation. Cette logique correspond à la poussée géographique ( la "septentrionisation" des régions intermédiaires, notamment le centre) et démographique ( le déplacement vers les grandes villes côtières plus peuplées et plus riches) des ressortissants des régions sahéliennes clairsemées et de plus en plus désertiques vers les régions de savane et le sud côtier ; dans un mouvement qui, sous couvert d'une bonne volonté politique, d'équité ethnique ou d'alternance démocratique, traduit en vérité une logique vicieuse de conquête d'espace vital au détriment des autochtones. Au-delà de l'écran de naturalité ou de fatalité qui entoure cette logique, la question est de savoir si les gens du sud sont suffisamment conscients de cela et pendant combien de temps, entraînés par une idiote engeance de leur congénères à la solde des étrangers, ils continueront à contempler en candides spectateurs cette dérive injuste qui agit à leurs dépens. |
Mètohogbe Efui Clotaire
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