Mondialisation et Asservissement
On parle depuis quelques années de mondialisation. Ce discours, par certains côtés, est suborneur. Parce que depuis des siècles, l'humanité est allée de mondialisation en mondialisation. Elle n'a fait qu'accroître son degré de mondialisation. Pour le meilleur et pour le pire. Le fer de lance de la mondialisation est la technologie. Les technologies de base sans lesquelles l'humanité ne peut plus vivre sont mondialisés ; en ce que, découvertes dans un coin du monde, elles se propagent au monde entier et sont appropriées par tous les hommes, les continents et les nations sinon dans leur fabrication, du moins dans leur usage. Du feu à l'arme a feu en passant par les milliers d'objets produits par la technologie et qui nourrissent le commerce international et mondial, il en a toujours été ainsi.
L'autre aspect de la supercherie qui entache le discours de la mondialisation est l'aspect éthique. Lorsqu'on fonde le droit à la jouissance technologique, ou des choses de cette nature, sur l'idée de l'égalité des hommes. L'idée de l'égalité des hommes est a priori une idée d'une grande valeur morale et politique. Pour autant, loin que son usage libère l'homme et le rende égal à son semblable, sans discrimination de race, de religion ou de sexe, l'idée de l'égalité des hommes a été souvent utilisée pour suborner, dominer, tromper et exploiter l'homme.
Dans l'histoire de l'humanité, il est arrivé souvent que la lumière serve les desseins des ténèbres, que le bien apparent serve à maintenir le règne du mal. La mondialisation, sous l'angle du discours éthique de l'égalité des hommes, a joué et joue sur ce registre subtil et inducteur. Il y a d'abord la corruption des peuples paisibles par les mœurs et outils issus des pays dominants de l'Occident et propagés par la mondialisation. Des peuples auparavant sobres découvrent l'alcoolisme et se noient dedans. La jeunesse des pays du Sud, auparavant conformiste et respectueuse des valeurs de hiérarchie et du culte des ancêtres, au contact de la culture occidentale, renverse les idoles et se ligue contre l'ordre traditionnel quand bien même tout ce que cet ordre contient n'est pas à rejeter. Des peuples, autrefois sains deviennent débiles au contact de l'extérieur qui charrie vices, influences, et maladies de toutes sortes. S'y ajoute l'aspect écologique qui met en danger l'équilibre de la nature, par l'exploitation à outrance des ressources naturelles et le rejet dans la nature de toutes sortes de déchets non biodégradables. Ce genre de nuisances héritées de la mondialisation est bien connu et n'a rien d'original. Il a fait l'objet de traitements littéraires, sociologiques et anthropologiques, de critiques politiques et éthiques qui n'empêchent pas le monde d'aller toujours du même pas de charge vers sa mondialisation intégrée. Celle qui parfait son état en devenir de véritable village planétaire. Mais le village n'empêche pas la logique de races et de nations d'être à l'œuvre de façon sournoise et virulente. En fait, le monde, comme l'humanité elle-même, est travaillé par ce double courant éthique de l'intégration et de la différenciation, de l'unification et de l'identité. Les stratégies de domination raciste, impérialiste et nationaliste se cachent derrière le discours de l'unité qui recouvre la geste technologique de la mondialisation et lui sert de bannière.
Le mal mondialisant se cache aussi dans la volonté des pays dominants de ne pas laisser les pays pauvres en dehors des conséquences néfastes de leurs dérives technologiques. Selon le réflexe diabolique de « nous mourons ensemble, s’il le faut ». Souvent les peuples du Sud, au nom de la mondialisation, sont utilisés comme cobayes technologiques. Ils servent en amont à tester les produits de la technologie (médicaments, armes et outils de guerre) comme en aval, à accueillir les déchets de la technologie que rejettent les pays industrialisés (nucléaires, voitures, médicaments avariés, produits informatiques usés etc.).
L'autre usage néfaste du discours et des pratiques de la mondialisation consiste à utiliser la poussée commerciale et l'invasion technologique comme arme de neutralisation de l'autonomie organisationnelle et de la créativité technologique des peuples du Sud. En Afrique actuellement, aucun pays ne sait produire ou ne peut produire effectivement le vélo, sans parler des vélomoteurs ou des autos. En Afrique Noire surtout le degré d'appropriation des technologies des plus ordinaires aux plus sophistiqués est zéro : de l’épingle à la voiture on ne fabrique rien ! Les occidentaux sont parvenus à naturaliser le fait que les Africains sont là uniquement pour consommer les produits de la technologie que eux sont là pour mettre au point et leur vendre. Cette conception est vieillie comme les rapports entre l'Afrique et l'Occident qui étaient déjà au centre de la dynamique et des états antérieurs de la mondialisation. Il y a donc une naturalisation de la division du travail de mondialisation au travers de laquelle les Noirs Africains n'ont pas à s'occuper de fabriquer ou de concevoir les outils de la technologie ; ils ont seulement à les consommer, moyennant un prix que fixe unilatéralement les pays occidentaux et qu’ils sont seulement capables de payer à la sueur de leur front et surtout par le bradage de leurs ressources naturelles. Et ce scénario est considéré comme la conséquence d’un droit et d'une revendication éthique. Le droit à la libre circulation des biens et des personnes, et l'égalité entre les hommes. Du temps de l'esclavage où le Noir échangeait les pacotilles ridicules venues d'Europe contre ses semblables esclaves, au temps actuel où, à coups de guerres et de violences télécommandées et nourries en armes par l'Occident, nous devons nous occuper de fournir aux Blancs capitalistes, mains d’œuvre, café, cacao, uranium et surtout pétrole, telle a été la loi subtile de la mondialisation ; telle est-elle. Telles sont ses mœurs suborneuses. Voilà comment elle opère derrière la bannière insidieuse du droit et de l'éthique pour naturaliser la division du travail d’asservissement des peuples sous le couvert de l'unification du monde.
Que se passerait-il alors si, au vu de l'inhumanité sournoise de cette logique, pour défendre les peuples du Sud, notamment les Noirs d'Afrique, on se piquait de subvertir la philosophie actuelle de la mondialisation ? Par exemple à légiférer sur le droit des peuples du Sud à ne pas consommer une technologie dont ils ne se seraient pas appropriés au préalable ? A légiférer sur l'obligation de s'approprier une technologie avant d'en consommer les produits ? Cette subversion serait à plus d'un titre salutaire :
1./Nous ne serons plus dépendants du bon vouloir et de la manipulation des pays du Nord.
2./Nous ne dépendrons plus de la contrainte de vendre nos matières premières qui bénéficieront à nos peuples.
3./Au lieu de nous entretuer pour savoir quel président, quels ministres, quelles ethnies ou quelles régions bénéficieront des rentes des produits miniers ou des matières premières, nous nous mettrons tous au travail.
4./Nous nous libèrerons technologiquement et valoriserons notre propre génie créateur laissé délibérément en friche.
5./Nous éviterons les nuisances découlant de la consommation de produits qui ne nous conviennent pas toujours, et nos pays cesseront d'être le cimetière où l'anus du système de production capitaliste et consumériste du monde.
Alors et alors seulement nous deviendrons vraiment libres et égaux aux peuples du Nord.
Voilà en gros ce que font ou ont fait les Chinois. Dans les années 60 et 70 la monture ordinaire du Chinois était le vélo. Un vélo que le Chinois fabriquait lui-même. Le Chinois s'est interdit de consommer massivement la voiture tant qu'il ne s'en serait pas technologiquement approprié. Contrairement à un pays comme le Nigéria par exemple où la civilisation consumériste de l'automobile a explosé sur le dos de l'exploitation du pétrole et où en revanche, on ne sait rien fabriquer en amont ou en aval de l'automobile, les Chinois ont attendu de maîtriser d'un bout à l'autre la fabrication de l'automobile avant d'entrer dans les années 2000 dans la civilisation de l'automobile. Et la différence politique et morale saute aux yeux.
On observe le même phénomène de dépendance avec l'usage frénétique du téléphone portable chez les Africains. Les Européens ayant identifié l'Africain comme une race de l'oralité, l’a bombardé avec cet outil qui a conquis l’âme noire avec laquelle il est entré en résonance. Le bavardage, qui est le substitut social de la disposition à la réflexion et à l'analyse, a trouvé en Afrique avec le téléphone portable son terrain de prédilection, son média et son médium naturels. Le téléphone portable assouvit des pulsions sociologiques et naturelles inouïes. Il est devenu le nec plus ultra de l'Africain de la ville comme de la campagne. L'Européen qui nous la fourgué n'en revient pas lui-même du succès phénoménal qu'a provoqué cet objet chez le Nègre. Et pourtant là comme ailleurs nous ne le fabriquons pas !
Qu'adviendra-t-il si, comme on peut le craindre, le téléphone portable s'avérait la source et le vecteur horrible du cancer du cerveau ? On voit d'ici le schéma du malheur accumulé de l'Afrique ! À l'instar du sida que nous ne parvenons pas encore à maîtriser, on voit d'ici l'hécatombe que cela produirait ! On voit surtout le paradoxe d'une situation où, ne faisant pas un bon usage de notre cerveau, nous tombons dans le piège d’en ruiner davantage les potentialités. Quelle régression intellectuelle ce serait ! Et comme toujours, l'Afrique va exhiber son étendard de victime comme si elle n'aurait pas pu éviter ce fléau en y regardant de plus près. Parce qu'elle n'a pas su maîtriser les conditions de consommation d'une technologie dans laquelle, du haut de sa sournoiserie diabolique, l'Occident capitaliste l'aura piégée.
Tout cela pour dire quoi ? Eh bien, que la mondialisation avec son discours libéral et éthique qui proclame soi-disant l'égalité des hommes est un discours piège dont nous devons nous méfier. Le discours éthique de l'égalité qu'il assène pour nous endormir devrait être examiné de près. En effet, nous gagnerons plus dans certaines conditions à revendiquer l'inégalité, condition sine qua non de notre appropriation des technologies, et de notre refus de la dépendance technologique dans laquelle l’Occident capitaliste nous enferme. Les Chinois le prouvent avec intelligence. Après tout n'est-ce pas un proverbe chinois qui dit qu'il vaut mieux apprendre à pêcher un poisson plutôt que de se le faire offrir ?
Si l’ONU Pouvait Formellement Interdire, Restreindre, contrôler ou Conditionner la Consommation des Biens Technologues à leur Appropriation Effective par les Peuples, ce Serait Tout Bénef aux Africains !
Binason Avèkes
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