Tant qu’on volait l’argent public, Yayi Boni ne levait jamais le petit doigt. Son silence cynique semblant vouloir dire qu’il n’avait de leçon à recevoir de personne, surtout pas de ceux qui, hier encore, volaient à tour de bras et qui aujourd’hui s’entendent à l’unisson pour pousser des cris d’orfraie. Cette ligne de défense n’a pas tenu longtemps.
Il a suffi qu’on vole l’argent du peuple et que le vol ait une incidence électorale directe et ne corresponde à rien dans le passé auquel Monsieur Yayi peut se raccrocher pour qu’il s’éveille, panique et se mette à jouer les pères Fouettard
Deux considérations sont à prendre en compte avant d’apprécier la différence de valeur relative entre le bien public et le bien du peuple.
Dans cette affaire d’ICC Services, qui permet soudain à Yayi de voir le nez du scandale au milieu de sa figure, il y a le montant très élevé des sommes en jeu – 100 milliards de FCFA au bas mot ! – et il y a le fait que les victimes de l’escroquerie ne sont pas anonymes, public incolore et inodore d’une éthique sociale introuvable ni même une représentation symbolique du collectif, mais plutôt des concitoyens de chair et de sang de toutes conditions. De potentiels électeurs surtout ! Une bombe sociopolitique d’une puissance de déflagration inouïe. Ne pas savoir la manier, c’est ruiner tout ce qui a constitué l’obsession de Yayi Boni depuis 2006, et que consacrent les marches de soutien, le populisme forcené, la confiscation des média, le propagandisme anachronique, la démagogie effrénée, l’achat de conscience, le régionalisme décomplexé, la gestion patrimoniale des biens publics, les actions clientélistes, le refus d’entendre raison sur la kyrielle d’affaires de corruption qui défraient la chronique, les violations fantaisistes de la constitution, la gouvernance à vue, bref toute cette sinistre agitation qui, cinq ans durant aura substitué la fixation sur la réélection à l’action sereine, mûrement réfléchie pour un développement cohérent.
Le grand nombre de victimes de l’Affaire ICC Services explique la panique de Yayi Boni ; et fidèle à son naturel manipulateur, il essaie par ses grands gestes de montrer sa bonne foi, comme si celle-ci a encore un sens si le mot responsabilité en a un ; comme si c’était le moment d’espérer manipuler les passagers alors que le bateau prend eau de toute part. Est-il sain d’espérer secrètement renverser la situation en sa faveur lorsqu’on a à ce point failli à sa responsabilité ? Est-il honnête en marge d’un scandale de cette ampleur qui aurait pu être évité de miser secrètement sur le sentiment de gratitude envers le sauveur et d’en camper le personnage quand le sauveur putatif a partie liée avec le sinistre ?
Ni sain, ni honnête, en un mot pas éthique pour un sou ! Mais il est vrai que, novice en politique, Yayi Boni a surtout retenu de la politique une idée dont l’immoralité est affligeante. Comme s’il voulait rattraper en immoralité tout le retard empirique accumulé. De ce point de vue, l’horreur éthique qu’il inspire vient du fait que la volonté de combler les lacunes de son inexpérience enferme Yayi Boni dans la certitude cynique que quoi qu’il fasse il ne pourra jamais égaler en mal ses prédécesseurs. D’où l’idée que malhonnêteté et vice seraient les deux mamelles de la vie politique. Et son insensibilité vis à vis du problème de la corruption. Car quoi depuis son arrivée au pouvoir en 2006 quelle affaire de corruption aura-t-il mis un point d’honneur à traiter et régler à son terme final ? Plus que jamais sous son règne, la justice ne punit pas les coupables et les affaires les plus retentissantes, dans lesquelles sont souvent impliqués son entourage et ses hommes liges – Ministres, Députés, Militants, Sympathisants – sont tenues sous le boisseau de manière irrationnelle et autoritaire. Dans cet ordre d’idées, rien de positif n’a été fait pour alléger les difficultés de fonctionnement de la justice et sa lenteur conséquente devient le prétexte de sa manipulation. Les réactions expéditives et sans lendemain deviennent la seule réponse du régime en matière de justice. Entre emprison-nements spectaculaires et enterrements de première classe des dossiers les plus sensibles, on assiste au Bénin à une consternante régression de l’état de droit pendant que l’état de nature resserre lentement et sûrement son étau sur la société. Outre l’immoralisme de la conception du politique intériorisée par le Chef de l’État, le mépris de l’état de droit sur fond d’autoritarisme est ce qui plombe la lutte pour la corruption.
Finalement, la corruption est le parent pauvre de l’éthique politique au Bénin et particulièrement sous Yayi Boni. Elle est perçue comme ce qui touche au bien public dans son aspect anonyme par opposition au vol de citoyens réels et identifiés. La distinction entre denier public et bien du peuple est l’origine du mal de la corruption. Au-delà du montant des sommes volées et du nombre de ses victimes, l’Affaire ICC Service révèle de façon dramatique cette cruelle distinction
Aminou Balogoun
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