Feuilleton
I
La Panthère s’évada du zoo du PAC, un beau matin. Le jeune homme qui s’occupait d’elle avait dû faire une erreur technique. Du coup, la Panthère se trouva hors de sa cage, puis s’enfuit dans la ville. Elle sema la zizanie dans le quartier de Gbégamey. La population prit peur et se barricada ; affamée, la Panthère dévora un petit troupeau de porc qui s’ébrouait sur les tas d’ordure. Les Forces de sécurité appelées à la rescousse, entrèrent
en scène. Elles suivirent l’animal, jusqu’au moment où il se reposa sous un arbre dans un terrain vague ; alors les soldats du corps des tireurs d’élite le mirent en joue. Ils lui tirèrent une balle au cœur et une autre dans la tête. La Panthère mourut… On l’enterra aussitôt… Mais deux jours exactement après sa mort, la présence de deux Panthères furent signalée aux frontières nord de la ville. Ces panthères étaient chacune deux fois plus robustes que la première, beaucoup plus grandes qu’un lion dont elles pourraient faire une bouchée ; on les avait vu sortir du bois à hauteur de Calavi ; là, elles firent leur première victime, une vendeuse de choukoutou native de Tchaorou, accompagnée de sa fille de 12 ans. Les Panthères dévorèrent la femme, mais chose curieuse laissèrent la fille saine et sauve, et se contentèrent de lécher son visage en pleur avant de disparaître dans les fourrées. Aussitôt l’alerte fut donnée. Les gens se posaient des questions : d’où venaient ces bêtes ? Se seraient-elles à nouveau enfuies de quelque zoo mal entretenu ? Les responsables du zoo du PAC d’où s'était enfuie la première Panthère étaient sur le qui-vive. Les hommes en armes furent dépêchés sur les lieux, dans l’agglomération de Calavi où les bêtes étaient signalées. L’affaire prenait même une tournure politique. Les Ministres de la sécurité et de la Défense, ainsi que leur homologue des eaux et forêts furent sur la sellette. Toutes affaires cessantes, le Président de la République trouva là une occasion idéale d'assouvir ses penchants populistes. Revêtu de la tenue des militaires, et portant comme eux une arme, il se mit à la tête d’une expédition de sécurisation de la population. « Je vais faire une bouchée des Panthères ! » disait-il, et la foule enthousiaste criait : « Vive l’indomptable Président, tueur des Panthères ! » C’est dans cette atmosphère bon enfant que l’expédition fut lancée. Et, après plusieurs heures de battue filmée en direct par les caméras de l'ORTB et de GOLF TV, les deux Panthères furent repérées dans les environs de Gbénontin, près de Calavi. Malheureusement, elles avaient déjà fait deux victimes supplémentaires : un malafoutier de 60 ans surpris au pied d’un palmier, et un conducteur de zémidjan qui avait garé son engin pour se soulager dans les fourrés. Curieusement, un enfant de neuf ans qui se promenait sur le sentier avait été épargné. C’est lui qui donna l’alerte. Et très vite les membres de l’expédition sécuritaire, dirigée par le Président se portèrent sur les lieux. Quand ils arrivèrent à l’endroit de la forêt où se trouvaient les Panthères, suivant les instructions du général en Chef, un périmètre de sécurité fut tracé. Tout autour de ce périmètre, une escouade de soldats se mirent en position de tir et pointèrent leurs armes sur les félins. Protégé par sa garde personnelle, le Président pénétra dans le périmètre, l’arme au point. Puisqu’il tenait personnellement à tuer les deux Panthères devant l’œil avide des caméras, l’arme du Président avait été munie d’un silencieux. Ainsi, il s’en servit avec une étonnante habileté et, en moins de temps qu’il ne faut pour le dire, le Président avait mis à terre les deux bêtes féroces. La foule nombreuse, applaudit l’exploit ; les soldats eux aussi jetèrent leurs armes pour se joindre un moment à l’euphorie collective. On porta le Président en triomphe, comme on le fait aux capitaines d'une équipe victorieuse lors des compétitions sportives de haut niveau. « Vive Yayi Boni, Kpohouto ! Yayi Boni le tueur des Panthères ! » criait la foule en délire. Les journalistes qui filmaient l’événement seuls ne purent applaudir, car ils n’avaient pas les mains libres mais dans leurs yeux et leur visage, on voyait briller l’enthousiasme des louanges dont ils allaient, comme à leur habitude, couvrir le Chef de l’Etat dans leurs journaux ou émissions télévisées sous contrat...
Les Panthères mortes furent transportées par les services de sécurité sanitaire pour faire l’objet d’examen. Un halo de mystère planait autour des félins. D’abord, on constata qu’elles ressemblaient, point pour point, à la première Panthère qui avait été tuée après s’être évadée du zoo du CAP : même pelage, même démarche, et même dentition ; en dehors du fait qu’elles étaient deux fois plus robustes qu’elle, ces bêtes monstrueuses étaient de parfaits clones de la première Panthère. Comment cela se pouvait-il ? Et d’où pouvaient surgir en si peu de temps des clones de même âge du même félin, se demandaient les esprits un tant soi peu rationnels. Mais comme au Bénin l’esprit rationnel est souvent rationné, et côtoie volontiers l’esprit irrationnel, les gens ne se gênèrent pas pour aller sur le terrain occulte. Ils suspectaient la vengeance de l’esprit de la première Panthère morte dont le seul crime était de vouloir se libérer du régime d'oppression qui régnait dans le Zoo. Un bokonon célèbre interrogé par la radio de Dantokpa prédit une catastrophe nationale en 2011 si on n’apaisait pas vite l’esprit des félins. Le sage homme arguait qu’une panthère était à l’origine de la race des Agassouvi, princes de sang et dignes fondateurs de l’inénarrable royaume du Danhomey dont un Béninois sur trois au moins peut se réclamer aujourd’hui avec fierté. Tous ces discours ethniques à résonance légendaire ajoutaient au mystère. Mais ce qui entre tous renforçait la thèse occulte c’est que ces Panthères épargnaient les enfants. Par deux fois, ils avaient évité de s’en prendre aux enfants. La fille de la vendeuse de choukoutou qui avait été tuée et dévorée avait 12 ans ; elle n’avait pas été inquiétée ; au contraire, aux dires de la fille elle-même, les Panthères, comme le font les chats qui se lustrent, auraient tendrement léché son visage en larme. De même, le garçon qui se promenait le long du sentier qui bordait le champ dans lequel le malafoutier et le conducteur de zémidjan avaient été fauchés par les Panthères, n’avait pas été inquiété. Mort de panique, il avait assisté inerte à la scène de mise à mort du conducteur de zémidjan par l’une des Panthères, avant de prendre ses jambes à son cou. Dans les deux cas, les Panthères avaient été sinon tendres avec les enfants, du moins avaient-ils fait preuve d’une indulgence troublante. Etait-ce parce qu’ils dédaignaient la chair fraîche ? Ou bien considéraient-ils les enfants comme menus fretins indignes de leur appétit vorace ? Mais dans ce cas, pourquoi avaient-ils, aux dires de la fillette épargnée, fait montre d’une tendresse quasi maternelle à son égard ? Une chose mettait d’accord les uns et les autres : c’est l’idée que ces félins ne s’en prenaient pas aux enfants. Mais alors, pourquoi ? Mystère…Et les supputations allaient bon train.
Par Bob Akanmoun
A suivre...
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Le second épisode suivra dans les tout prochains jours ; merci de patienter !
Rédigé par : B. A. | 14 décembre 2009 à 06:36
Très belle histoire ! A quand la suite ?
Rédigé par : Serge Dovonon | 12 décembre 2009 à 11:47