Par CELIA W. DUGGER
Ci-dessus, peint à la main un signe anticorruption à Lusaka, en Zambie. Les Agences enquêtant sur les crimes commis par de puissants hommes politiques ont été mises à mal ou dissoutes et leurs dirigeants ont été licenciés, menacés de mort ou poussés l'exil.
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La lutte contre la corruption dans les nations africaines les plus décisives est en train de s’essouffler, au moment où les agences publiques enquêtant sur les méfaits des hommes politiques puissants sont mises à mal ou sous le boisseau, et ceux qui les mènent sont licenciés, ou font l'objet de menaces de mort ou poussés vers l'exil.
Experts, procureurs et groupes de vigilance disent craindre que les revers les plus significatifs dans la lutte contre que la corruption en Afrique du Sud, au Nigéria et au Kenya soient dus à l'affaiblissement de la volonté de déraciner la corruption, un fléau qui distrait l’argent nécessaire à la lutte contre la pauvreté et la maladie dans la zone la plus pauvre du monde. Et en Zambie, un changement de régime a exacerbé les craintes que les efforts les plus zélés menés contre la corruption dans ce pays ne fassent l’objet d’un reflux.
Les dangers d’affronter les modes les plus enracinées de corruption se sont actualisés ces derniers temps avec la mort suspecte de deux militants anticorruption. Ernest Manirumva, qui travaillait avec une Organisation à but non lucratif, l’Olucome, dans des enquêtes sur la corruption de haut vol au Burundi, a été poignardé à mort, à l’aube, le 9 avril. Un dossier vide entaché de sang jeté sur son lit. Et selon le président de l'Olucome, Gabriel Rufyiri, des documents et un lecteur de disque informatique auraient été subtilisés.
Et en République du Congo, Bruno Jacquet Ossebi, un journaliste qui avait annoncé qu'il se joignait à un procès intenté par Transparency International pour récupérer des biens mal acquis par le président de son pays, est décédé des suites de blessures causées par un incendie qui a ravagé sa maison le 21 janvier à l’aube.
Les plus grandes inquiétudes en Afrique sur le front de la lutte contre la corruption ont émergé à partir des difficultés rencontrées dans les efforts déployés dans plusieurs pays
Au Nigeria, pays riche en pétrole, et le plus peuplé d’Afrique, où les groupes de vigilance soulignent la recul dans la lutte contre la corruption, Nuhu Ribadu, qui a mis sur pied la Commission des Crimes économiques et financières, une équipe d’enquêteurs chevronnés, dit avoir quitté son pays en Décembre dernier pour se réfugier en Angleterre. Les autorités ont envoyé M. Ribadu en formation à l’étranger, il y a un an de cela, peu après que son organisme a accusé un riche, ancien gouverneur et homme politique, dans une opération visant à soudoyer des subordonnés avec d'énormes sacs en peluche contenant la bagatelle de 15 millions de dollars en coupures de 100 $. M. Ribadu, qui a été renvoyé de la police l'année dernière, a déclaré qu'il avait reçu des menaces de mort et essuyé des tirs d’assaillants en Septembre.
Les chaussures faites main italiennes de Frederick Chiluba, l'ancien président de Zambie, sont devenues devenues un emblème de la cupidité.
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"Si vous luttez contre la corruption, dit-il, elle ne reste pas inerte, elle rend coup pour coup"
En Afrique du Sud, foyer de plus grande économie régionale, la nouvelle unité de lutte contre la criminalité mise en place jouit de peu de protection légale contre l'ingérence politique, dans la mesure où elle été dépouillée de l'autorité à la fois à d’enquêter et de poursuivre les crimes. Elle prendra la relève des Scorpions, l'autorité jusque là chargée des poursuites, une unité d’élite enquêteurs qui avait obtenu un taux élevé de condamnation et intenté des procès de corruption retentissants comme ceux contre Jacob Zuma, devenu président d'Afrique du Sud en avril, et Jackie Selebi, commissaire de la police nationale et allié de l'ancien président Thabo Mbeki. Les Scorpions ont été dissouts l'année dernière et le procureur en chef du pays, Vusi Pikoli, à l’origine de ces deux procès a été congédié.
«Même les personnes de bonne volonté réfléchissent par deux fois avant de poursuivre les gens haut-placés, parce que l'expérience leur a appris que le coût en est élevé", a déclaré Wim Trengrove, un avocat privé, qui a défendu l'État dans le procès contre M. Zuma.
Et au Kenya, pôle économique de l'Afrique de l'Est, des scandales ont continué de prospérer et les poursuites languissent depuis que John Githongo, qui était le chef de la lutte anti-corruption, a demandé et s’est imposé un exil de sécurité en Angleterre en 2005. Aaron Ringera, qui, dans une conversation enregistrée en 2005 a apparemment conseillé à M. Githongo de ne pas pousser plus loin les poursuites contre les Ministres du président Mwai Kibaki, est devenu l'actuel chef anticorruption. M. Ringera a dit dans un e-mail que M. Githongo a déformé les conseils qu'il lui avait formulés «dans son propre intérêt." Dans une interview, il a dit qu'il avait recommandé de poursuivre les huit ministres, mais avait été bloqué soit par les tribunaux ou par le procureur général.
La recherche se poursuit sur des moyens les plus efficaces dans la lutte contre la corruption, y compris l'intensification en matière juridique en vue de poursuivre les multinationales qui paient les pots-de-vin et récupérer le butin que les élites politiques africaines ont caché à l'étranger.
Transparency International cherche à amener la justice française à enquêter sur la façon dont les dirigeants du Gabon, la République du Congo et la Guinée équatoriale ainsi que leurs familles ont acquis des dizaines de millions de dollars en actifs là-bas. D'autres disent que les pays riches et les organisations internationales qui fournissent des milliards de dollars d'aide aux pays africains doivent chaque année exercer avec plus de vigueur leur influence pour s'assurer que l'aide ne n’alimente pas la corruption.
Sur la base d’une étude montrant que près de 1000 Milliards de $ par an sont engloutis dans les réseaux de corruption au niveau mondial, M. Kaufmann, ancien directeur de programmes mondiaux à l'Institut de la Banque mondiale, estime qu’il y a des dizaines de milliards de dollars de transactions liées à la corruption chaque année en Afrique sub-saharienne
M. Githongo, qui a échoué à lutter contre la corruption de l'intérieur, est revenu à Nairobi pour démarrer une association à but non lucratif afin de mobiliser les populations rurales pour faire pression sur les hommes politiques pour éradiquer la gangrène de la corruption
"Courir après de gros poissons n’a rien donné", a-t-il dit. "Le poisson ne se fait pas frire tout seul."
La Zambie a récemment remporté quelques rares condamnations prononcées à l'encontre d'anciens commandants de l’armée et Regina Chiluba, l'épouse de l’ancien président, pour raison de corruption. Frederick Chiluba, président de 1991 à 2001, lui-même attend un verdict de tribunal en Juillet sur les accusations de corruption. Sa garde-robe somptueuse – costumes Lanvin, pyjamas en soie et chaussures italiennes faites main en peau de serpent, satin et autruche - est devenue un emblème de la cupidité de l'un des pays les plus pauvres.
Mais les tenants de la lutte anticorruption disent avoir moins de conviction dans leur combat depuis l'élection du président Rupiah Banda. «Je suis sur les rotules", dit Maxwell Nkole, qui dirige un groupe de travail mis en place pour enquêter sur les violations commises à l’époque de Chiluba. "Le rythme, l'intensité de la lutte contre la corruption sont en baisse."
La Gouvernement de Banda conteste vigoureusement cette accusation et affirme qu'il va poursuivre en justice les fonctionnaires qui ont volé 2 millions de dollars provenant du ministère de la Santé. Sont en jeu des centaines de millions de dollars en subventions provenant des États-Unis via le «Millennium Challenge Corporation » auquel la Zambie a droit. Lors d'une récente soirée réunissant sur la pelouse de Mark Chona les ambassadeurs des pays riches, les États-Unis et la Grande-Bretagne, entre autres, le chef de la Force de lutte anticorruption en Zambie, dans son mot d’accueil a lancé une sévère mise en garde.
« On détourne votre argent», a-t-il dit sans ambages. «Ne restez pas inertes. Vous ne vous doutez pas du poids de votre influence. »
Traduction Binason Avèkes ; source New York Times
Copyright, Blaise APLOGAN, 2008,© Bienvenu sur Babilown
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