Une Interview du Professeur Cossi Bio Ossè
BA : Professeur Cossi Bio Ossè, vous venez des Etats-unis où vous avez été reçu par les membres du Congrès dans le cadre d’une conférence sur le rôle de la culture dans le développement du Continent Africain. Le moins qu’on puisse dire c’est que depuis l’élection de Barack Obama, l’intérêt des Etats-unis pour l’Afrique a pris une envolée jusque-là inégalée. Après son voyage en Egypte le 4 juin dernier où il a prononcé un discours fameux en direction du Monde musulman, Barack Obama s’apprête à se rendre en Afrique de l’Ouest au Ghana. Alors que plus d’un pays africains à divers titres s’attendaient à se voir honorés par la première visite de Barack Obama, c’est le Ghana qui a gagné le gros lot. Professeur Cossi Bio Ossè vous qui avez une connaissance approfondie de la culture et de la politique américaines, Comment expliquez-vous que le choix de la Maison Blanche se soit porté sur le Ghana ?
Professeur Cossi Bio Ossè ; Cette question est passionnante à plus d’un titre. En effet, signalons d’entrée qu’il y a 54 pays candidats, et que sur les 54 appelés, il y a eu un seul élu. Ceux qui pensaient avoir une certaine chance et se croyaient en bonne place se posent bien des questions. Il est plaisant de noter que dans certains des pays recalés, un débat public est en cours, pour explorer les raisons pour lesquelles Obama leur a préféré le Ghana. L’Afrique du Sud s’interroge, en sachant qu’elle est, avec son nouveau président, dans une période probatoire. Au Kenya, le débat est rude. Tout comme au Nigeria où certains affirment sans ambages que le pays le plus peuplé du continent ne sera réellement pris en considération que lorsqu’il se sera franchement engagé dans une gouvernance au-dessus de tout soupçon. Tout ce tumulte donne une indication en creux des raisons qui ont fait que le choix d’Obama se soit porté sur le Ghana ; mais il ne les épuise pas.
Alors à votre avis, quelles sont concrètement ces raisons ?
Eh bien en droite ligne de ce que je viens de dire, la première réponse est que le Ghana n’est pas le Kenya. En effet, étant donné que le Père de Barack Obama est d’Origine kenyane, se rendre au Kenya pour son premier voyage en Afrique noire donnerait une tournure ethnique ou nationale à sa diplomatie qui se veut plus rationnelle plus pédagogique et symbolique. Or le Kenya est situé dans l’irrationalité des liens de cœur ou de sang, ce qui fausse le jeu de cette rationalité chère à Obama. A côté de cela, les dissensions internes au Kenya suite à la répression meurtrière des émeutes consécutives aux dernières élections n’ont pas encore fini de résorber leurs tensions. Economiques et politiques, ces tensions, on le sait, suivent les lignes de force ethniques. Or le Président Obama dont le Père est de l’ethnie minoritaire Luo est bien placé pour voir dans la situation actuelle du Kenya un cas d’école de la nécessaire lutte pour le respect des droits humains et politiques des minorités, de la Démocratie, et de la bonne gouvernance. Dans ces conditions, pour une première visite en Afrique noire, se rendre au Kenya pourrait être interprété comme une volonté de sacrifier les exigences de démocratie et de bonne gouvernance sur l’autel des sentiments. Ce serait aussi consentir à sacrifier la charge symbolique de sa diplomatie en Afrique…
Alors justement quels sont ces symboles chers au cœur de Barack Obama ?
Aux Etats-unis les deux grandes figures de l’Africanisme culturel et politique sont Cheik Anta Diop et Kwame N’Krumah. Et qui dit Cheik Anta Diop dit Egypte ; donc le premier voyage en Afrique de Barack Obama, même s’il est centré autour de la problématique des rapports avec les musulmans est un voyage qui a eu lieu en terre africaine d’Egypte. Or cette Egypte-là est, d’un point de vue africain, celle qui, comme l’a prouvé Cheikh Anta Diop, consacre l’antériorité des civilisations nègres. De même le premier voyage de Barack Obama en Afrique noire se déroulera au Ghana, qui est le pays de Kwame N’Krumah, l’homme qui le premier s’est fait activement l’avocat de l’unité rationnelle du continent. A côté de ces deux symboles forts, il y a aussi un autre symbole, qui ne manque pas de sens ; c’est que le Ghana est le pays de Kofi Annan, le premier Secrétaire d’Etat de l’ONU d’origine africaine. Or on ne peut pas nier que l’émergence à la tête de l’ONU d’un personnage comme Kofi Annan n’ait pas eu sa part de résonance dans le courage et la motivation du futur candidat à la Maison Blanche. Car comme vous le savez pour avoir le courage de faire quelque chose d’inédit on s’appuie toujours sur un modèle, qu’il soit direct, ou indirect, naturel ou culturel. Enfin, pour étayer le critère symbolique signalons que le Ghana se situe dans cette Afrique de l’Ouest qui a été longtemps le foyer de la migration forcée de l’esclavage ( Ouidah, au Dahomey, El Mina au Ghana, et Gorée au Sénégal sont des noms, dont la résonance ne laissera pas indifférente la femme du Président, Michelle Obama)
C’est clair, il s’agit-là de symboles et de modèles forts, mais si elle se veut symbolique la démarche de Barack Obama s’épuise-t-elle dans les symboles ?
Non, évidemment, les symboles ne sont pas une fin en soi. Ils visent un but hautement pédagogique. C’est d’abord essentiellement cette pédagogie que Barack Obama entend apporter à l’Afrique avant toute chose, loin des rêves de nous inonder de dollars que nourrissent naïvement certains. (N’oublions pas que Barak Obama était professeur et que pour lui la pédagogie est une valeur.) C’est ce but pédagogique par exemple qui, entre autres raisons, explique qu’il ne soit pas allé en premier au Kenya. Car que ce soit pour le Kenya, le Nigeria ou l’Afrique du sud, le Ghana est un objet idéal et un exemple intéressant par rapport aux exigences de la rationalité démocratique et de la bonne gouvernance. En effet le Ghana donne des gages d’une Démocratie africaine crédible. Le pays est globalement sur la bonne voie politique et économique. Deuxième producteur mondial de cacao, il est en plus devenu l’un des plus importants producteurs d’or sur le continent. De même, la prospection pétrolière se poursuit et les perspectives de découvertes font rêver. Le pays disposerait d’un fort potentiel dans ce domaine. Mais davantage que ses ressources minières et énergétiques, ou encore ses infrastructures fraîches, le pays est riche de ce que le politologue américain Joseph Nye appelle les ressources intangibles du pouvoir, à savoir la culture démocratique et les institutions sans lesquelles toute gestion des ressources matérielles risque d’être faussée.
De même, le Ghana est un vieil ami des Etats-unis. Le Ghana est le pays d’Afrique au sud du Sahara qui accueille le plus de visiteurs noirs américains, devant l’Afrique du Sud et le Kenya. Un grand nombre de Noirs américains ont en effet choisi de s’y installer au point qu’il y existe une communauté noire américaine bien intégrée, qui s’y sent parfaitement chez elle aujourd’hui. Donc, d’un point de vue médiatique, la visite au Ghana peut et servira de relais d’un message en direction de la communauté noire américaine des Etat-unis ; un peu comme si Barack Obama élisait là un lieu d’origine symbolique, façon “Racines”, dans un renvoi médiatique à l’œuvre d’Alex Haley…
Par ailleurs, le Ghana n’en est pas à sa première en termes de visite de Président américain. En 1998, le 42ème Président, Bill Clinton et la Première Dame Hillary Rodham Clinton, maintenant Secrétaire d’Etat d’Obama, firent une escale de six heures au Ghana au cours d’une visite africaine de six nations, la plus longue tournée africaine d’un président américain en exercice. Pendant son passage éclair au Ghana , Clinton était accueilli par une foule immense de Ghanéen enthousiastes. Le Ghana fut à nouveau privilégié en accueillant George Bush, le 43ème Président, à Accra, le 19 février 2008, lors d’une visite de trois jours durant le règne du Président John Agyekum Kufuor ; la visite de Georges W. Bush faisait partie d une tournée africaine de cinq nations.
Donc pour historique qu’elle soit la visite au Ghana d’Obama a une histoire
Tout à fait. Certes, le Ghana a peut-être gagné le gros lot mais les raisons évoquées ici montrent qu’il ne l’a pas gagné par hasard ; et que le privilège est bien mérité.
“Le Président et Mme Obama espèrent renforcer les relations des États-Unis avec l’un de nos meilleurs partenaires de confiance en Afrique au sud du Sahara, et mettre en lumière le rôle critique de la bonne gouvernance et de la société civile dans la promotion du développement durable” telle est l’intention officielle annoncée dans une déclaration faite par la Maison Blanche. Que vous inspirent ces intentions officielles au regard de votre analyse.
Rien de bien particulier, puisque cette déclaration d’intention à caractère diplomatique non seulement ne s’oppose pas aux raisons suggérées ici du choix du Ghana comme premier pays africain du sud du Sahara à recevoir la visite du premier Président noir des Etats-unis, mais ne fait que les confirmer à certains égards. En tout état de cause, permettez-moi seulement de conclure d’un mot ou presque …
Je vous en prie !
Eh bien, c’est : Obama, Welcome to Africa !
Merci, Professeur pour vos points de vue qui, comme toujours sont très pertinents.
C'est Moi …
Binason Avèkes
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