Mon Idéo Va, Court, Vole et Tombe sur...
Étrange Affaire
Le Ministre des Affaires étrangères Monsieur Jean-Marie Ehuzu a fait parler de lui cette semaine. A un parterre de diplomates accrédités chez nous, il aurait, paraît-il déclaré : « Equipez-nous en standard, donnez nous un standard, donnez-nous des véhicules, c’est des outils de travail » et aussi : « J’ai des problèmes d’équipement, d’ordinateur dans cette maison, j’ai des problèmes de téléphone. Il n’y a pas de standard !» Ce cri de détresse a soulevé un tollé d’indignation dans la presse qui n’a pas eu de mot assez dur pour fustiger ce que d’un commun accord elle a considéré comme une manifestation déshonorante de mendicité, une atteinte à la dignité nationale. Etrange Affaire ! Mais quand on y regarde de plus près, on se rend compte que l’étrangeté vient moins du Ministre lui-même que de la réaction suscitée par ses propos.
Le Président Yayi boni, pendant la première année de son accession au pouvoir a passé le plus clair de son temps à sillonner le monde : l’Afrique, l’Asie, l’Europe et l’Amérique. A quoi croyez-vous que cette bougeotte fût dédiée ? Bien sûr à l’art subtil d’attirer la bienfaisance des milieux financiers ou des pays hôtes sur notre pays. Mais s’il faut appeler les choses par leur nom, force est de reconnaître que cet art s'apparente à la mendicité ; en langage familier on dit "faire la manche".
Alors pourquoi accepte-ton la mendicité lorsque c’est le Président qui la fait et pourquoi la rejette-ton avec tant de hargne lorsque c’est le Ministre des affaires étrangères ? Est-ce que c'est parce qu'il le fait sous nos yeux et non pas à l'étranger ? Ou bien est-ce parce qu'il est notre intermédiaire auprès de l'étranger, celui-là même dont la fonction est d’aller au-devant de ceux que nous appelons pudiquement « nos partenaires au développement » ? Et pourtant, à la forme près, le Ministre ne fait que dire tout haut, de façon directe et crue ce que le Président dit dans l’intimité de ses échanges avec ses interlocuteurs. Ce qui est surprenant c’est le caractère concerté et la violence de l’indignation que ses mots de mendicité sans détour ont suscité un peu partout dans la presse. Est-ce en raison du caractère direct de son apostrophe du corps diplomatique accrédité chez nous ?
Et pourtant le Ministre Ehuzu disait vrai. Pour une fois que les journalistes entendent quelqu’un qui énonce la vérité, on est bien en peine de savoir pourquoi ils ne s’en satisfont pas. Ils auraient préféré peut-être que le Ministre dise le contraire ? Nous préférons donc laver le linge sale en famille ou ne pas « salir notre dignité. » Mais est-ce salir sa dignité que de dire ce qui est ? La vérité c’est que la mendicité n’a pas commencé avec le Ministre. Le Ministre n’est qu’un maillon d’une grande chaîne de mendicité. Et c’est cette chaîne-là qui nous pend au cou. C’est elle qui fait notre honte de base, et non pas le maillon qui parle et qui dit tout haut ce que nous n’osons dire. En clair, nous sommes bien en face d’un fait de mentalité et de réalité. Et le Ministre Ehuzu n’en est que le révélateur, le bouc émissaire d’une situation qui nous choque certes, mais une situation qui structure de part en part notre ethos et notre vécu.
Les journalistes qui jouent les veuves effarouchées avaient pourtant d’autres motifs adjacents de s’indigner. Par exemple de penser que les biens mal acquis d’un corrompu sur cent du nouveau régime auraient largement suffi à venir au secours du Ministre. Ne parlons pas de ceux du régime précédent auxquels on n’a pas cru devoir sérieusement demander le moindre compte ! On pourrait aussi s’indigner du fait qu’en vérité, il n’y a pas que le Ministre des Affaires Etrangères qui se trouve dans l’indigence technique qu’il déplore. Le Ministre de la santé, par exemple, pourrait parler des hôpitaux dépourvus de tout ou presque – médicaments et matériels de base – et qui sont plus proches de mouroirs qu’autre chose !
Mais nous préférons cacher ces aberrations aux autres, et à force de les cacher aux autres, nous finissons nous-mêmes par ne plus les voir, ou à croire qu’elles sont inéluctables, bien qu’elles fussent grosses comme le nez au milieu de la figure.
A mon avis l’agacement ou le choc est moins du côté des diplomates qui savent mieux que nous-mêmes ce que nous sommes que de notre propre côté. Car la médaille de la dignité, comme toutes les médailles, possède deux faces : il y a la face subjective et la face intersubjective ou sociale. Pourquoi faisons-nous si grand cas de cette seconde face alors que nous abdiquons volontiers la première ? Voilà une question qui mérite réflexion.
En vérité lorsque, au plus profond de nous, nous aurons répondu à cette question, nous nous rendrons compte qu’il n’y a pas de quoi fouetter un chat, même si et parce que ce chat s’appelle Ehuzu : car il est tant que nous changions vraiment de mentalité dans ce monde !
Eloi Goutchili
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