De façon très inégale d’un siècle à l’autre, Abomey a eu à dominer à sa manière l’opulente localité d’Akpè d’où ses souverains ont
tiré d’énormes profits du point de vue économique. Ce sont les aspects multiformes de cette domination qui nous intéressent ici
Akpè, opulente localité
Akpè est aujourd’hui une modeste localité de quelques milliers d’âmes. Elle est située à 8 kilomètres environ de Houègbo, à 7 de Toffo et à 3 de Coussi. Nous nous situons à moins d’une quatre-vingtaine de kilomètres de Cotonou, dans cette partie méridionale de la République du Bénin. Un certain Daah
L’annexion d’Akpè
Conscients de la situation d’insécurité dans laquelle ils vivaient, les habitants n’ont pas manqué de prendre des dispositifs sécuritaires : murailles pour encercler le palais royal, préparatifs occultes de toutes sortes. L’on comprend qu’ils aient réussi à déjouer les trois raids qu’Abomey a lancés contre eux. Comme toujours en pareille circonstance, le roi du Danhomè préfère changer de stratégie et passer par la ruse. Il commence d’abord par introduire dans le village de très belles jeunes filles qui n’étaient en fait que des espionnes déguisées pour la circonstance en marchandes. Par elles, Agadja a réussi à obtenir de très précieux renseignements sur le village, notamment ceux que l’une des espionnes devenue reine d’Akpè, a pu lui fournir sur les forces occultes qui permettraient à son auguste mari de repousser, dit-on, tous les assauts ennemis : des queues de cheval magiquement apprêtées à des fins militaires. La reine espionne qui avait toutes les faveurs du roi, a usé de ruse avec la complicité d’autres espions acquis à sa cause, pour substituer aux queues authentiques de fausses queues habilement arrangées à l’identique. La puissance du roi vient ainsi d’être annihilée ; en outre, Agadja s’est arrangé pour épouser une femme d’Akpè afin d’endormir la méfi ance de ses habitants en leur prouvant à quel point il était attaché à leur localité. Il caressait donc déjà l’idée d’attaquer Akpè lorsqu’un événement s’est produit ; un habitant aurait commis l’adultère avec son épouse toujours restée chez elle. Le casus belli était tout trouvé. Les dernières consultations oraculaires ont cependant révélé l’existence d’un dernier obstacle : la divinité Lègba,du nom de Hounkouinsalégba, protectrice du village, était hostile à une éventuelle annexion de sa localité. Sans sa complicité, celle-ci serait imprenable. Les espions d’Agadja ont réussi à bénéficier de l’assistance de cette dernière ainsi complètement détournée de sa mission initiale. Plus rien désormais ne saurait compromettre la victoire aboméenne sur cette voie royale. Loin d’être entièrement rassuré par toutes ces précautions, Agadja préfère prendre une dernière précaution : le recours à un stratagème, une attaque armée directe étant toujours incertaine dans sa finalité. A cet effet, il annonce au roi d’Akpè l’imminence de son arrivée dans sa capitale pour faire honneur à sa belle-mère en lui construisant une grande maison avec des matériaux de choix apportés d’Abomey. Se sentant également honoré par la présence chez lui d’un aussi grand roi, Akpéhosu – souverain d’Akpè – réserve à son hôte un accueil digne de son rang. Les troupes aboméennes étaient arrivées sous la forme de simples porteurs de bottes de paille. Elles entrent dans Akpè sans éveiller le moindre soupçon. C’était à la tombée de la nuit. Les travaux de construction devraient débuter le lendemain matin. Tout Akpè dormait tranquillement quand tout à coup, à l’aube, les guerriers retirent leurs armes dissimilées dans les bottes de paille et s’emparent, sans coup férir, d’Akpè qui n’a pu opposer la moindre résistance. Le butin est fabuleux surtout en nombre de captifs de guerre; la localité avec quelques-uns des rescapés laissés sur place, passe désormais dans le giron du Danhomè.
Akpè, possession aboméenne
Colonie aboméenne, Akpè s’est reconstruite rapidement, sans toutefois arriver à renouer avec son dynamisme démographique d’antan. Les habitants sont restés nostalgiques de la splendeur passée de leur localité. Vidé de sa puissance qu’Agadja a détournée à son profit et à jamais maudit par les habitants qui n’ont pas manqué de l’avoir accusé de trahison, Hounkouinsalégba érigé près de Houègbo où s’étendait alors Akpè, a été complètement délaissé. Le premier souci d’Agadja a donc été d’ériger lui-même un autre lègba à partir d’un captif de guerre. C’est toujours l’actuel tolègba d’Akpè. Un village digne de ce nom ne saurait rester sans un tolègba. En outre, désormais tête de pont de l’impérialisme aboméen dans la région, Akpè est devenu un grand centre d’espionnage au service de ses vainqueurs. Agadja y installe une grande captiverie dont des vestiges de toutes sortes témoignent encore de l’existence passée3. Par ailleurs, les rois d’Abomey n’ont jamais manqué
d’intervenir, d’une manière ou d’une autre, dans la vie politique d’Akpè, manipulant, à leur guise, tels des marionnettes, ses rois. Glèlè détruit Kétou en 1886, faisant de nombreux captifs de guerre. Parmi eux un certain Oronia qu’il envoie le représenter dans la région sous le nom emblématique de Ahotonnagnon (tout ce qui revient au roi sera bon); ses descendants se trouvent actuellement dans le village au quartier Kodota. La royauté d’Akpè a vécu dans la tourmente sous la domination aboméenne, à telle enseigne que la plupart de ses détenteurs de sources orales ont aujourd’hui beaucoup de peine à établir l’arbre généalogique de ses souverains 4. Point de relâche momentanée pour les convoyeurs royaux d’esclaves d’Abomey en direction de Ouidah, Akpè a toujours été un lieu de pause pour le roi du Danhomè et ses troupes en campagne pour la conquête de la zone méridionale.
Conclusion
De par son opulence, son caractère populeux et sa situation géographique, Akpè n’a pas manqué, comme bien d’autres localités à la prospérité enviable, d’attirer les convoitises du royaume du Danhomè qui a fi ni par l’annexer pour en faire une colonie d’exploitation. Son existence durant la période précoloniale a été dominée par la présence aboméenne dont le souvenir est resté vivace dans les esprits.
A. Félix Iroko
Notes
1. Migan Félix, né vers 1955, cultivateur et conducteur de taxi-moto, quartier Tossahoué et Ahotonnagnon Bonaventure, né vers 1939, cultivateur et délégué, quartier Kodota. 2. Ahotonnagnon Etienne, né vers 1959, cultivateur, quartier Dogoudo ; Adamou Boniface, né vers 1955, cultivateur au village voisin d’Agon et Ahotonnagnon Bonaventure déjà cité. 3. Iroko (A.F.) ‘‘Les esclaves à Akpè et le breuvage de la soumission’’. In La Croix du Bénin N° 957 du 29 août 2008, p. 4 4. Tossa Messèdé, née vers 1928, ménagère et commerçante, quartier Tossahoué et Tossa Louis, né vers 1940, cultivateur, quartier Tossahoué.
Paru dans La Croix Du Bénin N0 958 du 5 septembre
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