DOCTEUR H2O : Tenez, je viens de lire dans la presse ceci qui peut vous intéresser : « PUBLICITÉ DE L’ACTION GOUVERNEMENTALE : Des panneaux lumineux pour mieux informer les populations »
PROFESSEUR ZONON : Eh oui, j’ai entendu la nouvelle moi aussi, et cela me fait rire d’entendre dire que c’est « Pour mieux informer la population »... Ah oui ! Sans blague... Depuis quand la publicité a-t-elle informé quelqu’un ?
DOCTEUR H2O : Alors là, Professeur, vous y allez fort ! Je ne vous savais pas antipub à ce point...
PROFESSEUR ZONON : Je ne suis pas antipub mais sans haine et sans amour, je puis vous dire que la pub n’informe pas son homme, mais le manipule...
DOCTEUR H2O : Donc selon vous l’initiative du gouvernement est de la manipulation cousue de fil blanc...
PROFESSEUR ZONON : Rien moins que ça ! Pub ou Info la campagne a commencé ; selon ce que j’ai lu, le premier panneau serait déjà installé en face de l’Aéroport de Cadjehoun...
DOCTEUR H2O : Aéroport de Cadjehoun, dites-vous ? Ah, cher ami, vous n’êtes point à la page...
PROFESSEUR ZONON : A la page ? Pourquoi ?
DOCTEUR H2O : Eh bien, avez-vous oublié que pour le meilleur et pour le pire, cet Aéroport s’appelle désormais Aéroport Cardinal Bernardin Gantin ?
PROFESSEUR ZONON : Le changement est fait de changements, mêmes les plus dérisoires...j’allais oublier, et l’aéroport de Cadjehoun n'a pas échappé au délire cosmétique qui se substitue au changement de fond. Oui, il a été nommé ainsi d’autorité sans que Dieu lui-même qui nomme toute chose ici bas ait eu le temps de se retourner.... Cela dit, c’est bien à Cadjehoun que se situe le premier panneau électronique d’info. Le pouvoir a beau se précipiter sur toutes les occasions de changements superficiels, contre cette vérité topologique il ne peut rien !
DOCTEUR H2O : Et à quelle fin avouée ces panneaux seront-ils implantés ?
PROFESSEUR ZONON : A quelle fin avouée ? Vous avez raison de le préciser ; officiellement il s’agit de faire savoir l’action du gouvernement ... Faire savoir, ah, bel objectif ! Et pourquoi ne se contente-t-on pas de faire ? Ce serait déjà beaucoup mieux !
DOCTEUR H2O : Oui, mais le gouvernement est sérieux, il a porté son dévolu sur les villes à statut spécial...
PROFESSEUR ZONON : Disons plutôt qu’il est cohérent... et en même temps paradoxal ...
DOCTEUR H2O : C'est-à-dire ?
PROFESSEUR ZONON : Eh bien, pour autant qu’on parle d’information, les villes à statut spécial, ont moins besoin d’être informées que les autres ; la sociologie de ces villes est plus évoluée que celles des villes ordinaires, et du même coup leurs habitants sont plus au courant de ce qui se passe plus qu’à l’ordinaire. Mais le paradoxe n’est qu’apparent pour deux raisons qui se rejoignent. D’abord parce le but du gouvernement n’est pas d’informer mais de conditionner, de manipuler, et procéder à un lavage permanent des cerveaux. Donc on comprend qu’il adresse ce médium nouveau aux masses grouillantes des grandes villes. Mais par ailleurs, pour le Président Yayi, il s’agit d’une session de rattrapage médiatique en vue des élections à venir...
DOCTEUR H2O : Comment ça session de rattrapage ?
PROFESSEUR ZONON : Eh bien n’oubliez pas que les villes dites à statut spécial sont justement les villes qui ont fait faux bond au pouvoir durant ces dernières élections municipales ; et les tractations, manigances et luttes d’arrière-garde, ce côté mauvais perdant que le pouvoir étale sans vergogne ni scrupule à longueur de crises et de contestations prouvent si besoin en est que ces élections ont eu valeur de test pour le pouvoir...
DOCTEUR H2O : Tout à fait, ce sont ces villes qui pour la plupart ont échappé au pouvoir lors des élections municipales.
PROFESSEUR ZONON : Donc si vous suivez mon regard, il urge qu’on les reprenne en main, qu’on les fasse rêver, qu’on les manipule, qu’on leur fasse voir de toutes les couleurs... C’est le sens de cette initiative et ce qui en fait la redoutable cohérence !
DOCTEUR H2O : Vous voulez dire que tout cela n’est qu’un gosplan médiatique à visée électorale ?
PROFESSEUR ZONON : Rien de plus, l’ami rien de moins. Vous savez bien quel faible Yayi Boni a pour la propagande, et l’influence par les medias. Non seulement il a horreur qu’on y dise du mal de lui, – et il paie pour qu’il n’en soit pas ainsi – mais il aime par-dessus-tout y être encensé. C’est un fantasme idiot, auquel la fonction présidentielle confère toute sa magnificence onirique. Même si ce rêve, à l’échelle de l’histoire, est éminemment réversible, d’autant plus réversible qu’il est, comme en toute idiotie autocratique, fabriqué, imposé, artificiellement construit de briques et de broc. Mais pour l’heure, c’est plus fort que lui...
DOCTEUR H2O : C’est donc un faible qui est fort...
PROFESSEUR ZONON : Et ceci au-delà de toute imagination. Regardez tout ce bras de fer avec la HAAC pour nommer les dirigeants de l’ORTB ; ainsi que dans l’attribution des fréquences de radio... Ah oui, pour Yayi Boni le pouvoir est au bout des médias... et son pouvoir est à cheval sur l’obsession du lavage du cerveau. C’est sans doute parce que Yayi Boni conçoit le changement comme le résultat d’une action qui ne laisse pas de place à la libre pensée ou à la détermination du citoyen, mais qui par manipulation, suivant le principe de la publicité, le conduise à lui donner le bon dieu sans confession.
DOCTEUR H2O : Vous voulez dire que les citoyens de notre pays, notamment les gens des villes à statut spécial vont se déterminer uniquement à partir d’un conditionnement vide comme une coquille, un simple miroir aux alouettes ?
PROFESSEUR ZONON : Votre question est pertinente ; ventre affamé n’a point d’oreille ni d’yeux pour se laisser captiver par le miroir aux alouettes, mais la logique autocratique est ce qu’elle est : elle ne connaît que la manipulation, et le donner à croire ...faire saliver les gens sur des plans, des infrastructures réalisées pour partie et en grande partie à réaliser, voilà de quoi bercer d’illusions les larges masses électrices ! Encore heureux que cette logique accepte le principe démocratique. Mais cette concession est pure formalité, et par mille manières, il faut se rattraper. Et ce rattrapage passe par le conditionnement, le matraquage publicitaire ; il faut poursuivre l’esprit de l’électeur, le hanter partout où il se trouve : Radio, journaux, télévisions, affiches publicitaires, panneaux électroniques ! Et dans la phraséo-logie théâtrale pseudo-démocratique de l’autocratie rétrograde qui se met en place sous nos yeux au Bénin, cela s’appelle « informer, faire connaître l’action du gouvernement » ...
DOCTEUR H2O : De toute façon, moi je suis sceptique. Sauf votre respect, Professeur, je ne pense pas que le gouvernement puisse réussir, cela ne marchera pas !
PROFESSEUR ZONON : Pourquoi ?
DOCTEUR H2O : Tout simplement parce que les Béninois, permettez-moi l’expression, ne sont pas des cons : quand on n’a pas à manger, quand on ne sait pas comment se soigner, quand on ne peut pas instruire ses enfants, on ne va pas applaudir ou suivre béatement un régime qui vous promet monts et merveilles et vous fait du cinéma de plein air !
PROFESSEUR ZONON : C’est sûr, les peuples sont beaucoup moins naïfs qu’on ne le croit. S’ils obéissent au vieux principe romain de contrôle politique bien connu à savoir « du pain et des jeux », tout pouvoir qui veut leur faveur doit donner à la fois le pain et les jeux, pas seulement l’illusion de pain et du cinéma alors que les ventres sont vides. Je suis d’accord avec vous. Mais ma préoccupation va plus loin...
DOCTEUR H2O : C’est-à-dire...
PROFESSEUR ZONON : En vérité mon souci est éthique. Ce que je me dis, voyez-vous cher Docteur, c’est qu’il y a tout de même une limite dans cette frénésie de dépense pour la propagande. Faut-il confondre l’Etat avec le gouvernement ? Faut-il confondre l’information nationale qui doit profiter à tous les partis avec la propagande du seul pouvoir ? Est-ce que ce Monsieur a été élu par les Béninois peut se permettre ce genre de libéralité sans retenue ? N’y a-t-il pas là une dérive monarchique de l’action gouvernementale ? Où est la gouvernance concertée dans ce règne léonin de la domination médiatique du pouvoir ?
DOCTEUR H2O : C’est vrai que ces panneaux ne sont pas donnés, Professeur...
PROFESSEUR ZONON : Oh, assurément ils ne sont pas donnés. Et, dans chaque ville où ils seront installés, il ne serait pas superflu de faire le rapprochement avec le nombre d’infirmeries, de bibliothèques, ou même de jardins publics qui auraient pu être conçus ou construits avec les mêmes moyens... ! Et puis sur le plan purement politique la disparité, oh que dis-je l’iniquité est flagrante !
DOCTEUR H2O : Que voulez-vous dire, Professeur ?
PROFESSEUR ZONON : Eh bien, Docteur, c’est bien simple ! Pendant que ces initiatives propagandistes se multiplient un peu partout, la loi sur le statut de l’opposition languit dans les limbes du mépris tactique du gouvernement. Si ce n’est pas là une violation de l’esprit de la constitution, cela y ressemble fort.
DOCTEUR H2O : C’est vrai que là-dessus, on ne peut rien espérer de la Cour Robert Dossou, car c’est la Cour la plus Godillot que nous ayons jamais eue au Bénin démocratique !
PROFESSEUR ZONON : Tout à fait ! Et puis à côté de l’esprit de la Constitution, il y a aussi l’esprit du citoyen auquel le pouvoir ne témoigne aucun respect, et c’est peu dire...
DOCTEUR H2O : Mais encore...
PROFESSEUR ZONON : Eh bien, ne voyez-vous pas comment ce pauvre esprit est hanté de propagande, comment il est sans pitié obsédé de manipulation jour et nuit par toutes sortes de médias stipendiés ? Mélange de billevesées, de menteries à dormir debout... de vison de mât de cocagne... N’y a-t-il pas une limite tout au moins constitutionnelle à ce harcèlement propagandiste de l’esprit du citoyen par le pouvoir ? Quelle est la ligne jaune éthique de cet enivrement forcé ? Dans une démocratie honnête une limite doit être établie entre la propagande électorale anticipée du pouvoir et l’information gouvernementale à proprement parler.
DOCTEUR H2O : Du reste, Professeur, soit dit en passant, pourquoi informerait-on le peuple sur ce qu’on lui promet ou ce que l’on fait alors qu’il suffit de réaliser ces choses-là. Et la meilleure information est encore l’action elle-même pas le discours sur ce qui va se faire ou s’est fait. Car ce qui se fait se sait, et ce qui ne se fait pas se tait...
PROFESSEUR ZONON : Voilà qui est quasiment proverbial ! Je vous donne entièrement raison !
DOCTEUR H2O : Cela dit Professeur, signalons quand même à la décharge du gouvernement actuel le fait qu’au moins l’argent n’est pas détourné.
PROFESSEUR ZONON : Que voulez-vous dire Docteur ?
DOCTEUR H2O : Voyez toutes ces dépenses que le gouvernement fait, même si elles paraissent orientées par un souci propagandiste et semblent s’inscrire dans une démarche populiste à visée électoraliste, il reste au moins qu’il y a une certaine transparence quant à leur affectation. La question que je me pose cher Professeur est peut être naïve mais la voilà : « Où allaient jadis ces mêmes sommes que le gouvernement dépense maintenant de façon peut-être critiquable ? »
PROFESSEUR ZONON : Oui, je vous le concède volontiers, ces sommes allaient dans les poches des dirigeants de l’époque. En cela il s’agit d’un changement, mais je crains que sur ce point en tout cas, ce ne soit qu’un changement en trompe l’œil.
DOCTEUR H2O : Que voulez-vous dire ?
PROFESSEUR ZONON : Eh bien, non seulement rien ne prouve que la corruption d’avant a cessé. Car malheureusement les mêmes causes produisent les mêmes effets. Mais tout porte à croire que le banquier qui nous dirige connaît bien et sait bien jouer des manipulations comptables.
DOCTEUR H2O : Dans quel sens ? Pouvez-vous être un peu plus clair ?
PROFESSEUR ZONON : C’est qu’il se peut que toutes ses dépenses ne soient que fictives.
DOCTEUR H2O : Comment ça, fictives ? Vous voulez dire que l’argent n’est pas là ?
PROFESSEUR ZONON : Oui, quelque chose de ce genre... Il se peut que toutes ces dépenses ne soient que des dettes à venir... vous savez, on dépense plus facilement quand on n’a pas à payer sur le champ, mais le malheur de la dette arrive comme un boomerang ... un fardeau qui pèse sur les générations futures.
DOCTEUR H2O : Une dette ! Y a pas pire pour hypothéquer l'avenir du pays...
PROFESSEUR ZONON : Oui, Docteur et en la matière on peut le dire, les donneurs ne sont pas les payeurs, même s’ils en ramassent la mise anticipée...
DOCTEUR H2O : Dans ce cas, électronique ou pas c’est tout le pays qui va tomber dans le panneau !
PROFESSEUR ZONON : Je ne vous le fais pas dire...
DOCTEUR H2O : Ah, Professeur, votre analyse, comme toujours, m’ouvre les yeux... ! Merci !
PROFESSEUR ZONON : Oh ! Cher ami, tout le plaisir est pour moi...
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HODONOU ODJO
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