Pourquoi le Chef de l'Etat Joue-t-il les DAB ?
Incapable de manœuvrer la classe politique à sa guise et de s’inscrire en toute transparence dans le fonctionnement du jeu démocratique ; aux prises avec les limites du dévolu qu’il a jeté sur l’instrumentalisation tous azimuts des institutions de la République, Yayi Boni ne s’avoue pas pour autant vaincu.
Assurément cette gesticulation a vocation à dénier l’impasse dans laquelle se trouve le Président. Comme c’est toujours le cas, les observateurs avisés ou même la propagande officielle essayent de nous en donner le mode d’emploi. Ainsi, l’échec de la formation d’un gouvernement élargi peut justifier qu’il soit fait appel aux religieux et aux chefs traditionnels comme agents et médiateurs de paix. Mais en réalité rien n’est plus douteux. Soit dit en passant, comme dans toutes les initiatives précipitées du Chef de l’Etat – Et Dieu sait qu’elles sont légion ! – cette mise en scène des rois et autres chefs traditionnels est une véritable boîte de pandore. Certes, politiquement elle peut constituer un clin d’œil fallacieux à peine voilé à certains partis ou associations radicaux qui, figés dans une vision passéiste de la société, font de la prise de pouvoir de ces « rois » et chefs leur mot d’ordre. Mais au-delà de ce débat idéologique, c’est la pécuniarisation de la politique, cette manière de tout ramener à l’argent, tout pourrir par l’argent qui est en cause. La pécuniarisation attise les différends qui opposent ces rois ou ces chefs entre eux. Or la raison d’être de ces différends se situe dans les luttes d'intérêt ou les fantasmes politiques que la royauté traditionnelle concentre autour d’elle. Ces conflits sont d'autant plus passionnels que l'autorité des chefs repose sur le principe charismatique. En agitant le chiffon rouge de l’argent devant ces rois au lieu de donner une réponse rationnelle au désir de reconnaissance par l'Etat de leur rôle symbolique de médiateur socioculturel le chef de l’Etat ouvre la boîte de pandore des conflits de légitimité, dont les plus sérieux sont des survivances des pages sombres de notre histoire. L’appréhension soulevée ici ainsi que le raisonnement qui l’étaye valent mutatis mutandis pour les divers groupes religieux. Pourquoi vouloir tout ramener au fric, pourquoi tout pourrir par l’argent ? Cette logique pécuniaire est vraiment diabolique et indigne d’un régime qui voulait changer les choses en bien, à commencer par les mentalités et les mœurs. De ce point de vue, le rapport du pouvoir aux religieux et rois n’est pas saint/sain et constitue une source de désordre moral et de détérioration des racines éthiques de la conscience collective.
Mais cette conclusion négative, dont la prémisse est l’explication naïve du geste du Président par le citoyen moyen est loin d’être satisfaisante. Sa fausseté est dans la prémisse. Pour y voir clair, il convient de rejeter cette explication naïve ou insidieuse. Certes Yayi Boni découvre l’utilité des Roi et des religieux à qui sans états d’âme il distribue dans une joyeuse inconstitutionnalité des millions, parce qu’il est dans une impasse politique. Mais il n’est pas pertinent de suggérer que le geste du président vise à restaurer le climat de paix, et à l’aider à faire le pont avec les partis politiques qui le défient. Parce qu’au moment où ces partis réclament à cor et à cris la reconnaissance constitutionnelle de leur rôle dénié par le gouvernement, la tentative de leur substituer une cohorte bigarrée de religieux et de chefs traditionnels n’est pas de nature à les apaiser. Au contraire elle peut susciter leur réprobation ou leur mépris de voir le gouvernement s’enliser dans ce qui à leurs yeux n’est qu’une régression inconstitutionnelle et une fuite en avant. Et encore une fois, d’une certaine manière, le Chef de l'Etat aura contribué à faire de ces partis a priori historiquement suspects quant à leur réel attachement au bien-être du peuple, les défenseurs crédibles des valeurs démocratiques et en l’occurrence de la rationalité légale.
Non, l’analyse du sens profond du geste du président, du prurit de générosité qui l’étreint ces jours-ci est à la fois simple et logique. Elle a quelques points communs avec l’explication naïve du citoyen moyen ou l’analyse de l’observateur avisé. Mais en même temps elle s’en écarte. D’abord on ne peut pas mettre de côté le don fait au Togolais par le Président de la République et celui qu’il fait aux religieux et aux rois béninois. Ils sont liés : chronologiquement et logiquement. Or prétendre que c’est le souci d’en appeler à la sagesse des religieux et des rois pour apaiser le climat politique qui conduit le chef de l’état à dilapider des millions de-ci de-là, c'est ne faire aucune place aux Togolais. Est-ce que les Togolais viendraient nous aider à régler nos problèmes politiques au Bénin ? Non, rien n’est moins sûr, dans la mesure où, à l’instar des inondations qui frappent les deux pays, les Togolais baignent depuis des années dans d’inextricables problèmes politiques qui peinent à trouver de justes solutions. En fait dans son obsession de réélection en 2011 Yayi Boni a peur de ne plus compter sur le jeu démocratique normal. Du fait que les alliances politiques classiques paraissent sujettes à caution sinon hautement problématiques. Et au fur et à mesure que le rêve d’une alliance du style wologuèdè paraît s’inscrire dans un passé révolu, Yayi Boni qui n’est pas un révérend démocratique, tel un joueur fou qui a claqué toute sa fortune au casino, essaie de miser sur de la fausse monnaie. Incapable de faire jouer le jeu démocratique en sa faveur, le Président trace la marche alternative de son obsession de réélection. Il invente un nouveau monde politique. Ce nouveau monde, strictement parallèle à la réalité constitutionnelle et à la rationalité légale, sort tout droit de ses fantasmes autocratiques et populistes. A travers les rois et les religieux, le Président est en train de mettre en place, comme toujours au frais du contribuable, un univers fantasmatique de contrôle social et politique basé sur un clientélisme systématique. Il ne s’agit même pas d’une politique sociale réfléchie et cohérente mais au mieux d'un coup de coeur ou au pire d'un geste illuminé sans rime ni raison qui consacre la confusion entre des sphères constitutionnellement séparées. Car à supposer qu'on voulût vraiment encourager les actions des religieux et des rois – pour autant qu’elles soient positives – pourquoi ne pas voter de façon consensuelle la création d’un fonds auquel ceux-ci émargeraient en fonction des contributions sociales concrètes dont ils pourraient se prévaloir ?
Au lieu de quoi on claque ostentatoirement des millions dans le but d’en claquer ; mais aussi afin de conditionner les esprits, de les chavirer, de les faire saliver, et de se concilier la docilité électorale des médiateurs politiques naturels que sont les rois, les chefs traditionnels, les dignitaires et les religieux de tout bord. Au système démocratique normal avec ses partis libres et ses débats d’idées, son jeu de pouvoir et de contre-pouvoir, le président essaie de substituer une morphologie duale alternative, en grande partie illégale et fantasmagorique.
Et quid du Togo, des sinistrés togolais ? Eh bien sans doute veut-on cultiver les liens de cousinage électoral entre les deux pays. Et les militaires béninois en procession de l’autre côté du mono sont là pour faire le lien dans la mesure où désormais la logistique électorale sous l’ère Yayi – pour le meilleur et pour le pire – est sous leur encadrement. On peut certes penser que la montée au créneau des militaires dans ce domaine réservé des relations diplomatiques est une façon pour ceux qui en étaient directement responsables de montrer leur gratitude envers le Togo pour avoir mis ses urnes à notre disposition lors des dernières élections municipales ; mais rien n’empêche non plus de penser que ce mélange des genres dans le domaine intimement national des élections est aussi une manière de profanation délibérée de cette intimité, de simulation militaire et de préparation psychologique aux basses oeuvres du cousinage électoral entre les deux pays.
Au total, ayant perdu ses amis des premiers jours, Yayi Boni essaie de s’en faire de nouveaux. L’amitié en question ici est celle qui a une utilité politique immédiate. Certes le fait que le président se mette à distribuer des millions de-ci de-là, à tort et à travers comme un distributeur automatique de billets détraqué n’est pas seulement la résurgence compulsive d’une seconde nature d’ex-banquier. En vérité c’est que la perte de ses amis est, pour le président, génératrice d’angoisse et de peur : angoisse de solitude, et peur de ne pas être réélu. Ce type d’angoisse rend fou : fou d’aimer, fou d’être aimé. Une folie qui n’a que faire de la démocratie ; au mépris de ses règles, de ses valeurs, et de sa culture, elle peut porter à fomenter des intrigues alternatives, à inventer de toute pièce un nouveau monde. Et peu importe que ce monde soit peuplé de Togolais sinistrés, de rois imaginaires ou de religieux loufoques ; peu importe même que ce monde soit réel : l’important est qu’il permette à terme de naturaliser des plans sordides ou de fantasmer de son utilité en attendant les jours meilleurs.
Binason Avèkes
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