L’Art de vaincre sans avoir raison
.
Trois conditions politiques ont permis l’élection de Monsieur Nicolas Sarkozy à la magistrature suprême en France.
1. L’unité dans son camp, exigée, martelée et obtenue vaille que vaille à coup de promesses, de chantage, et de menaces.
2. Le siphonage du Front national et plus généralement l’appropriation sans complexe de la thématique, de la posture et de l’éthique lepéniennes.
3. Par-dessus tout le fait de sélectionner par ruse le candidat de l’autre camp dont on est sûr, le cas échéant, de faire une bouchée. Cet acte de préemption électorale, cette façon de s’investir dans le choix de son adversaire final, de le prendre en charge en avance est un véritable téléchargement politique. Cette téléologie machiavélienne n’est cependant pas
inédite. Ce qu’on a appelé le séisme du 21 avril 2002, qui a consacré le schéma rocambolesque Chirac/Le Pen au second tour, en était déjà une variante et une préfiguration. Le candidat de la droite de l’époque, peu sûr de l’emporter et encore moins avec le brio attendu d’un Président sortant, a œuvré avec son Etat-major pour éviter l’affrontement loyal gauche/droite et imposer ce schéma de la vertu républicaine menacée. Cette tactique prouve bien que si François Mitterrand a dopé Le Pen à défaut de l’avoir créé de toute pièce, il n’est pas le Président qui a porté à son comble l’usage machiavélique qui pouvait être fait de son parti.
En 2007, renouveler incontinent le même schéma aurait sauté aux yeux ; non seulement de la France, mais du monde entier. Il fallait garder le même objectif, mais changer le fusil d’épaule. Ce que les Anglais appellent « The other way round ».
A priori, il n’était écrit nulle part que la droite ne pouvait pas gagner. Certes, il y avait le risque d’un bilan en demi-teinte dont le maquillage multiforme n’emporte pas la conviction généralisée. Il y avait aussi le fait que la gauche n’ayant pas fait son aggiornamento ne proposait pas une alternative originale. Il y avait enfin le fait que le candidat le plus obsédé de Présidence à droite, compte tenu de son éthique et de ses méthodes n’était pas en odeur de sainteté dans l’imaginaire de la gauche et du centre. En dépit d’une relative possibilité de majorité à droite, toutes ces conditions rendaient hypothétique la victoire de Monsieur Nicolas Sarkozy. D’où le recours au téléchargement de son adversaire. Le parti socialiste étant à court d’originalité, lui suggérer in fine l’investiture d’une femme pour tenir ses couleurs et celles de la gauche tout entière n’est-ce pas là l’idée originale du siècle ! Il fallait y penser. Et surtout, il fallait mettre en scène cette farce et la tenir à bout de bras dans la durée et dans la réalité. Les instituts de sondages, et les médias à la solde du candidat de l’UMP ont fait le reste. Et pourtant, ce plan obscur dont le principe est d’éviter la confrontation loyale des vrais talents des deux camps a été présenté de manière spécieuse par l’éditorialiste d’un grand journal du soir comme le seul schéma clair digne d’être préconisé aux Français. Cela souligne l’importance stratégique des médias dans la réussite du téléchargement 2007. En fin de compte le rôle des médias, leur servilité et les intérêts financiers ou personnels constituent un socle de facteurs socioéconomiques décisifs qu’il faut ajouter aux trois conditions évoquées ci-dessus pour rendre raison de la subtilité de l'art de vaincre sans avoir raison qui est au principe du téléchargement politique.
.
Binason Avèkes
©Blaise APLOGAN, 2007
Commentaires
Vous pouvez suivre cette conversation en vous abonnant au flux des commentaires de cette note.