Dans un de ses éditoriaux, l’ex-Ministre, Roger Gbégnonvi a fait l’éloge de l’idée d’instruire le peuple dans nos langues nationales. Occasion pour lui de revenir sur son éphémère expérience de Ministre de l’Alphabétisation et de la Promotion des Langues Nationales (MAPLN) ; et de regretter l’inconstance du Président de la République dans un domaine qui selon lui était et reste vital pour le Changement. “Le Bénin, dit-il en substance dans cet éditorial, par le biais de ce ministère, s’était transformé en un vaste amphi où le débat allait bon train. Puis soudain, ce fut le couperet. Un soir. On raccrocha le MAPLN à la culture entendue comme tam-tam et rythme, chants et danses, peinture et sculpture. Nos langues et l’alphabétisation ravalées au rang de folklore, disparues dans l’insipide d’un ministère fourre-tout.”
Et, renchérissant dans sa critique de la décision qui mit fin à sa mission, Monsieur Roger Gbégnonvi, qui depuis son éviction du Gouvernement a troqué sa livrée du plus poétique des thuriféraires de Yayi contre celle du plus mordant de ses contempteurs ajoute : “ À l’intérieur de ce système, disons-nous, l’on n’en a pas voulu spécialement au MAPLN, que l’on créa sans doute comme l’on fait toute chose, c’est-à-dire par jeu ou par distraction, puis on l’assassina par ignorance. Ignorance de l’histoire qui enseigne que, partout et toujours, les peuples qui ne savent ni lire ni écrire vivotent, sont à la traîne, se laissent dominer et exploiter par le premier peuple lettré venu. Ils sont incapables de s’élever pour s’épanouir. Ils restent éternellement légume mol et aplati, que les passants lettrés piétinent sans nécessairement faire exprès. La diffusion de la lecture et de l’écriture est la condition fondamentale de toute révolution, et fut la condition historique des révolutions anglaise de 1640, française de 1789, et russe de 1917”
L’idée de l’importance sociale et anthropologique de l’instruction et de l’alphabet est impeccable mais l’inférence qui en découle sur les raisons du geste de Yayi Boni est fausse. Erreur totale de discernent et d’appréciation ! C’est ne pas connaître Yayi Boni que de s’expliquer son geste alphabeticide comme le résultat d’une ignorance. La vraie raison de la suppression d’un Ministère aussi fondamental est à l’exact opposé : c’est parce que Yayi Boni sait ce qu’être instruit dans sa langue maternelle pour le peuple, l’écrire et la lire qu’il a mis fin à l’expérience. Cela renvoie en fait à la perception du peuple par le Prince obscur du changement.
Voilà un homme – Yayi Boni – qui s’est affublé du titre de docteur, c’est-à-dire pour aller vite, de quelqu’un qui est censé jurer plus par la rationalité que par l’émotion ; quelqu’un qui devrait rechercher en toutes choses la voie de la raison et des lumières par opposition aux instincts, à l’émotion et aux ténèbres. Or, il n’est que de voir le parti-pris populiste forcené de Yayi Boni pour se rendre compte qu’il n’en est rien ; à tel point qu’on se demande s’il a abdiqué le minimum de rationalité inhérente à la formation d’un docteur. Tant il est vrai que pour les besoins de sa cause populiste il est à l’affût de tout ce qui est émotionnel. Traîne l’état dont il est le chef dans un état loufoque à travers des parades ou scènes religieuses indignes du Président d’une République laïque et démocratique ; croit naïvement régler les grands problèmes politiques par la subornation sentimentale ou affective : envoi tambour battant de bouquets de Fleurs à telle femme politique hospitalisée en dehors du pays, ou à tel autre politique à l’occasion de son anniversaire ; présence frénétique à des enterrements de parents d’autres hommes politiques dont il rêve pour meubler son camp ; achat spectaculaire de conscience ; accolade et baisers ostentatoires à tel concurrent qui menace sa quiétude régionaliste, etc. la liste est longue de ces actes d’émotionnalisation de la vie publique dont Yayi Boni se fait à la fois l’adepte et l’initiateur passionné et infatigable.
En clair pour Yayi Boni, le peuple ne connaît que le langage de l’émotion. Cette idée fausse qui a valu à Senghor d’être critiqué à juste titre, lorsqu’il considéra que l’émotion serait nègre et la raison est hellène, Yayi Boni la fait sienne en remplaçant nègre par peuple. Le fond de l’affaire est qu’il est conscient qu’avec l’idée de Dieu on peut arraisonner le peuple, l’entourlouper. Il sait que le Béninois est très croyant, et il veut passer par la voie des émotions générées par cette disposition pour le suborner. Le Président qui communie avec vous dans la même ferveur religieuse est une envoyé de Dieu, c’est donc lui qu’il faut suivre, et personne d’autre. Le problème politique se déplace insidieusement sur le terrain religieux. D’une manière générale, le recours permanent à la médiation religieuse n’est que le paradigme de l’évacuation de la raison, des lumières, de la réflexion, de la critique, du recul, de l’analyse, au profit de la valorisation exclusive de l’émotion.
Les historiens des sciences rappellent à l’envi le fameux échange entre Laplace et Napoléon à propos de “L'Exposition du Système du Monde.” «Votre travail est excellent, avait observé Napoléon, mais il n'y a pas de trace de Dieu dans votre ouvrage». Ce à quoi Laplace répondit : «Sire, je n'ai pas eu besoin de cette hypothèse.» Bien que Docteur, et vivant à une époque où les Lumières ont fait depuis du chemin, Yayi Boni n’est pas laplacien pour un sou ; au rebours du savant français, notre président ne jure que par Dieu, sa seule hypothèse.
Ainsi la perception du Peuple de Yayi Boni est une perception infantilisante qui substitue délibérément les Ténèbres aux Lumières, l’Emotion à la raison, la Régression affective au progrès rationnel, la Fascination béate à l’esprit libre, la passion à la lucidité rationnelle.
Dans ces conditions, Yayi Boni n’a aucun intérêt à ce que le peuple s’instruise ; il n’a aucun intérêt à ce que le peuple sache lire et écrire dans sa propre langue. Car alors, le peuple instruit se libèrerait du joug de l’émotion et de la passion et accèderait au monde lumineux de la Raison, de la Réflexion : toute chose fatale au règne de l’émotion qui lui tient lieu de fonds de commerce et de mode unique de communication politique. Et Yayi Boni le sait très bien. Donc pour remettre sur ses pieds le raisonnement de l’ex-ministre, c’est parce que Yayi Boni sait très bien que “ les peuples qui ne savent ni lire ni écrire vivotent, sont à la traîne, se laissent dominer et exploiter par le premier peuple lettré venu. [Qu’]ils sont incapables de s’élever pour s’épanouir. [Qu’]ils restent éternellement légume mol et aplati, que les passants lettrés piétinent sans nécessairement faire exprès. [Que] la diffusion de la lecture et de l’écriture est la condition fondamentale de toute révolution, et fut la condition historique des révolutions anglaise de 1640, française de 1789, et russe de 1917” qu’il a supprimé le Ministère de l’Alphabétisation et de la Promotion des Langues Nationales.
Binason Avèkes
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