Professeur Cossi Bio Ossè
Binason Avèkes : Dans vos travaux et écrits divers, vous vous faites l’avocat d’une discipline quasi informe qui est la psychologie politique. Pouvez-vous nous dire en quoi consiste cette discipline, et quelle sont les raisons pour lesquelles vous lui accordez tant d’importance alors que la forêt des sciences humaines est déjà si dense ?
Professeur Cossi Bio Ossè: Eh bien merci d’éclairer ma pensée sur ce sujet. Ma position est épistémologique ; il s’agit de reconnaître le domaine et l’objet d’une discipline pour mieux assurer son appréhension sur les faits dont elle s’occupe. Nous connaissons jusqu’ici la psychologie sociale, la Sociologie politique, l’Economie politique, l’Anthropologie politique, l’Histoire politique, etc. mais il semble bien que la psychologie politique soit le parent pauvre de cette division, et qu’elle passe au travers de tout cet attirail de divisions. Or la psychologie joue un rôle décisif dans la politique, et partant dans l’histoire. Raison pour laquelle j’accorde beaucoup d’importance à cette notion ; et je vous remercie de m’offrir l’occasion d’en parler
Plus que d’en parler, Monsieur le Professeur, nous voudrions que vous analysiez la situation politique actuelle du Bénin sous l'angle de la psychologie politique. Est-ce possible…
Vous parlez exactement de quoi ?
De la mise sous mandat de dépôt, euphémisme juridique d’ emprisonnement de monsieur Pierre Simon Adovèlandé, le coordonateur national du Programme du Millenium Challenge Account (MCA)
Eh bien justement nous avons-là un fait typique qui tombe sous le scope de l’acte psychologiquement motivé par excellence. En effet ce qu’il faut comprendre avant tout en ce qui concerne Monsieur Yayi, c’est que nous avons affaire à un sujet psychorigide à tendance maniacodépressive avec propension à l’idéalisation d’objets et de formes primo-affectifs. Cette tournure psychologique est la conséquence d’une frustration affective primitive et de profonds changements dans l’enfance du sujet, notamment pour un sujet mâle dans le rapport au père. Tout cela entraine chez un tel sujet le sentiment d’écrasement, un solide complexe d’infériorité auquel il réagit soit par la violence, soit par des phases dépressives, ou l’addiction à des euphorisants comme l’alcool, soit par l’affirmation autoritaire de soi, toujours dans le but de montrer et de se convaincre qu’il est le meilleur, le plus intelligent '(Docteur) qu’il est au cœur de l’attention du plus grand nombre( Président de Banque ou République, etc.). En tout état de cause, un tel sujet a une structure psychologique portée à la fixation et à l’autoritarisme.
Dans le cas d’espèce que nous apprend cette psychologie ?
Eh bien que Yayi Boni a été perfidement adoubé par Kérékou et que celui-ci reste pour lui la figure de Père. Par conséquent il a fait une fixation sur le mimétisme de sa figure.
Mais comment peut-il en être ainsi lorsque Yayi Boni est accusé de dictature alors que Kérékou a montré pendant ses dix dernières années sous le Renouveau qu’il était respectueux des règles démocratiques ?
Bonne question ! Il ne faut pas oublier, nous l’avons dit, que l’idéalisation chez un tel sujet régresse jusqu’au formes primitives de son objet. En clair, le Kérékou que Yayi imite n’est pas le Kérékou du Renouveau, ce n’est pas Kérékou I ni Kérékou II , mais ce qu’on pourrait appeler Kérékou 0 ; c’est-à-dire le Kérékou de la période de la Révolution. D’où l’idée du vocable Changement, ( je dis bien du mot) qui n’est qu’un ersatz du mot Révolution, un avatar, en somme. D’où l’idée du Service militaire des jeunes qui n’est qu’une reprise des fameux Professeurs Révolutionnaires qui ont pourtant échoué sous le régime de la Révolution, d’où l’idée des visites impromptues dans les services et sociétés, comme Kérékou le faisait en son temps, le fait de recycler autour de lui des tortionnaires comme Azonhiho, un ancien fidèle de Kérékou ou Amos Elègbé qui a aussi l’avantage d’être d’origine nago, autre faiblesse de Yayi, le régionaliste etc.. Quand on sait que ce Monsieur vient après Soglo, puis Kérékou I et Kérékou II et qu’il puisse à ce point faire référence explicite et implicite à Kérékou de la période Révolutionnaire en dit long sur l’idéalisation régressive dont nous parlons.
Mais alors en quoi cette idéalisation explique-t-elle ce que nous vivons actuellement ?
Eh bien, si vous acceptez l’hypothèse du mimétisme sur fond de fixation sur une idée fixe, à savoir être réélu comme Kérékou ( le seul Président à avoir jamais été réélu depuis l’indépendance de notre pays) alors vous avez tout compris…
Mais encore !
Eh bien, Kérékou dans sa période Révolutionnaire a, de conserve avec des gens comme Azonhiho, saigné à blanc ce pays. Meurtre, tortures, violences, abus sexuels, stupres, orgies, abus de bien sociaux, dilapidation, prévarication et détournement ont été leurs faits d’arme, jusqu’à la faillite des années 1988. Mais pour en arriver à avoir la mainmise sur l’équipe initiale qui a déclenché la Révolution, Kérékou a dû passer par des éliminations : élimination carcérale de Janvier Assogba, élimination physique du capitaine Michel Ayikpé. Ce sont ces deux actes héroïques qui ont assuré à Kérékou la mystérieuse et somme toute paradoxale respectabilité des Béninois. Pourquoi ? Parce que le mal, le crime de sang, le sacrifice, surtout lorsqu’il est humain marque la psyché politique du Béninois ( et vous remarquerez que les victimes de Kérékou tous autant qu’elles étaient, Aïkpé, Assogba, étaient du sud) D’entrée on a vu venir Yayi Boni qui sous prétexte de n’être pas bien organisé, alors qu’il héritait du savoir-faire et de la logistique technique de Kérékou, laissait sa garde Républicaine à plusieurs reprises commettre des meurtres déguisés sous le vocable de bavure. Mais on a pas besoin d’avoir la science infuse pour se douter que ces meurtres, ces bavures pour employer le terme officiel, n’étaient que des sacrifices humains. Dans l’espoir qu’ils allaient suffire pour asseoir la respectabilité du nouveau détenteur du Pouvoir Suprême. Et quand on voyait que cela ne suffisait pas on rééditait le forfait de loin en loin, comme si autour d’un Président qui se dit docteur, on ne pouvait pas parvenir à rationnaliser le fonctionnement d’une garde présidentielle. Tout cela, voyez-vous, est une mise ne scène de sacrifice humain, à seule fin d’assurer les assises occultes, irrationnelles du pouvoir dans l’imaginaire d’un peuple, notamment les Adja/Fon primitivement féru de sacrifice humain.
Et où est donc l’idée de sacrifice dans l’Affaire Adovèlandé qui nous occupe ?
Eh bien, on passe du sacrifice à l’idée du mal. Yayi Boni a compris que pour Kérékou le mal a payé. Malgré tous ses crimes quelques-uns se sont fait gloire de le ramener au pouvoir, et le peuple aussi l’a accepté ! Donc au Bénin, en politique ou ailleurs, le mal paye. Yayi Boni l’a bien compris. Et ce mal, dans les conditions géopolitiques mondiales d’aujourd’hui, passe dans un premier stade par l’emprisonnement arbitraire, acte et preuve de pouvoir sur les autres. Ainsi sur instigation de Kérékou, il avait commencé par mettre en prison Sefou Fagbohoun, à qui comme vous le savez, il a fini par demander pardon. Ensuite ce furent des journalistes qui auraient attenté à sa vie privé, etc.. Ensuite ce fut l’homme politique Amègnissè, à peu près pour les mêmes raisons. Puis ce fut le maire de Dangbo, qui contrairement aux nombreux membres du camp présidentiel trempés dans des affaires mettant en jeu des milliards (CENSAD, SONAPRA, ESCORTE) fut envoyé en prison pendant trois mois pour un larcin, un million et demi ! Avec toutes ces victimes itinérantes qui se succédaient dans les geôles du pouvoir Yayi Boni cherchait à se donner l’image du terrible, de celui qui fait peur et dont on doit avoir peur, il désirait inspirer ce sentiment que les japonais appelle stupeur et tremblement. C’est le propre des complexés. Mais par rapport à la fixation sur une figure de similitude, toutes ces victimes n’ont pas le statut d’idéalité requis. Yayi Boni cherchait quelqu’un qui fût semblable à lui comme Michel Aïkpé ou Janvier Assogba étaient semblables à Kérékou : collègues militaires, même habitus, mêmes écoles, mêmes ambitions, etc.. Et il a trouvé cette figure de similitude dans la personne de Monsieur Pierre Simon Adovèlandé. Ce dernier avec sa gestion saine et active du MCA était reconnu par toutes les couches sociales, les institutions nationales et internationales, les partenaires au développement comme étant un homme d’action et de qualité. Pour Yayi Boni, il fallait d’onc l’abattre : Simon-Pierre Adovèlandé est son Janvier Assogba sinon son Michel Aïkpé à lui !
Donc telles sont les motivations qui éclairent ces événements…
Motivations psychologiques, bien sûr, à l’exclusion des, et en complémentarité avec les motivations politiques, et juridiques sur lesquelles, comme je l’ai souligné en exergue, dans la nécessaire délimitation du territoire épistémologique des disciplines, vous comprendrez que je ne tienne pas nécessairement à m’étendre ici…
Professeur votre réserve est d’une rigueur imparable, je la respecte. Et je tiens à vous remercier pour cette lueur ô combien éclairante et crue que vous avez jetée sur ces faits et événement d’importance de l’actualité politique nationale…
Oh, tout le plaisir est pour moi ! Babilown est un Blog de qualité, et c’est pour moi tout honneur d’y être interviewé
Binason Avèkes
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