.1/5. Un Constat Désespérant
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Par Paula AGBEMAVO
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L’hémorragie continue toujours. Un chalutier, une pirogue, une barque fourmillant de clandestins sub-sahariens a encore échoué sur les côtes de l’Espagne, de l’Italie ou pire en mer. Et vous les voyez, chancelants, le visage émacié, ramassés par les secouristes à la fois condescendants, stupéfaits et hébétés devant cette détresse. Ils affrontent l’océan sur des embarcations de fortune, au mépris de leur vie. Au comble du désespoir, certains se jettent par-dessus bord. D’autres encore avalent leurs pièces d’identité pour retarder leur inexorable renvoi dans leur pays d’origine. Le cauchemar perdure. Des images dégradantes que les télévisions du monde nous renvoient chaque fois. En novembre 2005, après avoir passé des jours à côtoyer leur paradis à la fois à portée de mains et si inaccessible, des centaines de clandestins sub-sahariens, la hargne à l’âme et quasiment en transe ont pris d’assaut ces barbelés, obstacles à leur bonheur. Les policiers à cette frontière Maroco-Espagnol ont répondu à ces scènes de désespoir par des balles réelles et l'aventure se terminera en bain de sang. Pour sceller définitivement le destin des «envahisseurs», les mêmes marocains les ont largués en plein désert sans eau, ni nourriture. Qu’est-ce qui se passe? Pourquoi une telle frénésie ? La situation est-elle autant désespérée ? L’Afrique est-elle devenue aussi invivable, hostile à la vie pour justifier la fuite effrénée de ses bras valides embarqués dans des aventures aux issues incertaines ! La plupart de ces aventuriers jusqu'auboutistes partent dans la vie démunis d’éducation soit à cause de la quasi-inexistence et/ou l'inefficacité de politiques du gouvernement de leur pays en matière d'éducation, soit parce que l'extrême précarité financière dans laquelle végètent la grande masse en Afrique n’a pas favorisé leur accès à l'école, ne serait-ce qu'élémentaire. Ils sont exempts de perspectives parce que les travaux agricoles auxquels ils ont été condamnés sont restés à l'état embryonnaire.
Par ailleurs, la fin de l’Etat-providence, pourvoyeur d’emploi, le faible dynamisme du secteur privé, l'absence d’accompagnement social conduisent à un chômage sévère, désespérant et la réussite n'est pas souvent au bout de l'auto-emploi. La situation de l'Afrique est loin d'être rose mais de là à noircir tout le tableau, c'est sauter pieds joints dans l'abîme. Au cours de l'année 2006, les Iles Canaris à elles seules ont été envahies par plus de 21.000 bras valides Sub-sahariens et plus d'un millier de clandestins au cours du mois de janvier 2007, sans compter le débarquement quasi quotidien sur les côtes françaises, italiennes et les tentatives périlleuses dans les cales des bateaux et les soutes d'avions. De ceux qui sont parvenus à bon port, moins de 5% recevront un titre provisoire de séjour et les autres suivront le parcours inverse : centre de rétention, terminale de Madrid, de Roissy, ou d’ailleurs, charter, Afrique où ils seront largués tels des pestiférés dans un quelconque pays africain, quitte à ce qu’ils se débrouillent pour retourner dans leur pays d'origine. Des centaines de milles obtenus chèrement à la sueur du front pour s'acheter une chimère qui échouera en enfer et retour à la case départ. De l'argent qui finalement n'aurait servi qu'à enrichir les passeurs, ces marchands de rêves qui dépouillent ces malheureux jusqu'aux derniers centimes. Sans oublier que toute leur famille y cotise, les mères vendent bijoux et pagnes.
Le fait de se retrouver du jour au lendemain dans un pays étranger, du reste inhospitalier peut être déstabilisateur. L’immigration des africains vers d’autres pays africains n’est pas toujours régulière et ne génère cependant pas de si grands drames, des reconductions à la frontière sauf dans les pays maghrébins où les Noirs sont assimilés aux singes, aux mendiants. Qu'ils soient Marocains, Algériens, Libyens, Egyptiens, Tunisiens, ils ne revêtent leur manteau d'Africains que quand il s'agit de prendre part à la coupe d’Afrique et aux sommets africains. La xénophobie et le racisme anti-noir de ceux-là sont plus flagrants, plus frontaux, que celui qu'on pourrait reprocher aux Blancs. Parmi les destinations préférées, l’occident tient la première place. Un standardiste gagnant moyennement sa vie dans un organisme international de la place fait depuis des années, des pieds et des mains pour aller grossir le rang des sans-papiers en France. Selon lui, aller travailler aux «pays des blancs» ne serait-ce que balayer leurs rues améliorerait son pouvoir d’achat. Le rêve d’Arnaud, frigoriste est d’arriver à réunir la coquette somme d’un million de francs pour aller chercher son bonheur à lui aux Etats-Unis. Ils sont malheureusement nombreux à penser qu’ils ne sont pas nés au bon endroit et qu’ils se perdraient s’ils restaient chez eux, dans leur pays. En dehors de considérations d’ordre économique, il subsiste d’autres facteurs beaucoup plus têtus qui expliqueraient à la fois l’attrait des Africains pour l’Occident et leur complexe d’infériorité vis-à-vis de leurs frères blancs. Ce n'est point rébarbatif de rappeler les quatre siècles d’esclavage, la déportation des millions d’Africains parqués tels des objets dans des cales des bateaux de négriers. Des siècles plus tard, ces mêmes africains s’échinent à emprunter les mêmes cales de bateaux pour rejoindre l’Occident. C’est dire l’échec des gouvernants africains, l’échec des africains tout court. Pour parachever leur œuvre, les Français, Anglais et Portugais ont décidé qu'il fallait apporter du savoir, un peu de lumière à ces sauvages de Noirs avec comme paravent : Dieu ! Et ses fameux représentants sur terre qu'étaient les évangélisateurs. Pour faire bonne figure après des siècles d’ignominie, ils nous ont accordé un semblant d’indépendance non sans s’être assurés d'avoir gardé la mainmise sur nos diverses ressources. Les anciennes colonies devenues indépendantes étant demeurées leurs arrières cours à la tête desquelles ils se sont également assurés de placer des gouvernants-marionnettes. Tous ces échafaudages, ces tours de passe-passe d’intérêts partisans aux sommets des Etats africains débouchent malheureusement sur des rebellions de part et d’autre, occasionnant des catastrophes humanitaires : famines, guerres civiles, génoccides, savamment orchestrés par leurs partenaires occidentaux qui opposent souvent une ethnie à une autre. Je n'en veux pour preuve que les manipulations criminelles ayant occasionné les génocides au Rwanda et au Burundi.
De plus l'interventionnisme des ex-Colonisateurs, notamment la France dans certaines de ses anciennes colonies dont le Tchad, la centrafrique, la Côte-D'Ivoire, le Togo…, est un état de fait et constitue un sérieux élément déstabilisateur de ces pays déjà mal en point économiquement. Après 10 ans de mandat, Idriss DEBY change la constitution tchadienne par un simulacre de référendum et la france applaudit. Elle lui apportera plus tard, toute sa contribution pour mater la rébellion qui découlerait d’une telle mainmise sur le pouvoir. La Côte-d'Ivoire, un pays dont la stabilité et la prospérité tant évoqués sont plutôt lointain maintenant puisque empêtré depuis quatre ans dans un terrible imbroglio Politico-social non sans les mains de la France.
.Paula AGBEMAVO
Paula AGBEMAVO
©Copyright, Blaise APLOGAN, 2007
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