Dans une Interview au Magazine ROOT: l'ancien président du Ghana a parlé sans langue de bois.
Jerry Rawlings se dit déçu de nombreux dirigeants africains et de l'incapacité des pays africains à travailler ensemble plus étroitement. Quand le magazine ROOT a interrogé l'ancien président, il a été très direct à propos de l'évolution des pays africains depuis l'indépendance, de sa déception avec ses pairs frères africains, et de leurs anciennes puissances coloniales.
ROOT est un magazine quotidien en ligne qui fournit des commentaires et réflexions sur l’actualité à partir d'une variété de perspectives ayant trait au continent africain. Lire l'interview ci-dessous.
Jerry John Rawlings est accro à la politique. Fils d'un Ecossais et d’une Ghanéenne, par deux fois, il a fait un coup d’Etat contre ce qu'il considérait comme des gouvernements corrompus, et il reconnaît que son régime a commis "un peu de punitions ici et là," au cours de ses 19 ans à la tête de l'Etat du Ghana. Pourtant, il a cédé le pouvoir en 2001, après avoir perdu les élections en 2000, et fait place à la démocratie multipartite. Maintenant, à 62 ans, l'ancien capitaine de l’Armée de l’Air du Ghana, qui n'est plus aux affaires depuis neuf ans, a encore beaucoup à dire sur son pays, qui a célébré sa 53e année d'indépendance le 6 Mars dernier
NB Root = (TR), Jerry Rawlings = (JR):
ROOT : De nombreux pays africains célèbrent leur 50e anniversaire d'indépendance en 2010. Comment évaluez-vous cette évolution?
Jerry Rawlings: Eh bien, j'aurais souhaité que nous ayons fait beaucoup plus de progrès - sociaux, économiques et politiques dans le sens de notre objectif - en ligne avec les aspirations de nos Père fondateurs, ce pour quoi ils se battaient. Mais il semble que la bataille coloniale n'était pas aussi atroce que la nouvelle bataille coloniale. Celle-ci s’est avérée beaucoup plus difficile, et de plus en plus nous perdons la propriété des ressources de notre continent. Et les dirigeants africains qui ont un esprit décolonisé ne sont pas légion
TR: Le lien entre la France et ses anciennes colonies africaines est très fort. Pensez-vous que le lien entre l'Angleterre et ses anciennes colonies africaines est tout aussi fort ?
JR: Je ne sais pas. Certains pays anglophones d’Afrique peuvent être proches de ma Grande Bretagne dans certains aspects et plus distants dans d'autres, tandis que d'autres liens peuvent être lâches à certains égards et étroits à d’autres égards. Mais n'oubliez pas que la Grande-Bretagne n’est pas seule : Elle vient avec les pays anglo-saxons - les États-Unis, l'Allemagne, et d’autres. En ce qui concerne la France, je pense qu’elle a tenté de maintenir une forte emprise, ou monopole sur les ressources de ses colonies. Je peux me tromper, mais c'est le sentiment que nous avons. Et il semble qu'il y ait beaucoup plus d'assimilation entre les Africains francophones et la France. D'une part, vous pouvez facilement avoir l'impression qu'ils jouissent d'une meilleure qualité de relation que les Africains avec les Britanniques. Mais quand on regarde de plus près, et quand on essaie d’aller plus loin dans l'histoire, on se rend à l’évidence d’expériences très atroces et d'histoires sordides qui vous met vraiment hors de vous.
TR: Est-il trop tôt pour mettre en œuvre les «États-Unis d'Afrique" fortement proposés par Kwame Nkrumah, le premier président du Ghana?
JR: Ce n'est pas trop tôt. Cela aurait du être fait depuis longtemps, mais l'Afrique a été tellement mal désintégrée en dépit des regroupements régionaux, que nous avons créés pour mettre des marchés à disposition de nos propres produits. Nos rapports coloniaux ont été si puissants qu’il ont porté atteinte à nos tentatives d'unification.
TR: Certains disent que la forme occidentale de la démocratie est un poison pour l'Afrique. Qu’en pensez-vous?
JR: Cette forme n'aurait pas été un poison pour l'Afrique si nous pouvions l'adapter à nos formes endogènes de démocratie. Notre forme de démocratie portée à l'écoute de toutes les parties, permet de distiller ce qui est meilleur pour tous. La démocratie occidentale en revanche est basée sur le principe du "le vainqueur prend tout", ... qui n'est pas sain. Ils finissent par faire taire les opposants, traités comme des ennemis, tout est pour eux, et ils nient tout à l'opposition. Et c'est ce qui rend les choses difficiles pour nous.
TR: Que pensez-vous du discours du Président Barack Obama à l'Afrique à Accra le 11 Juillet 2009?
JR: Il a juste dit ce que n'importe qui d'autre aurait dit.
TR: Rien de nouveau?
JR: Ce n'est pas juste de dire rien de nouveau, mais même si son discours n’a rien de nouveau, en revanche il a le mérite de provenir de la bonne personne. C'est un homme avec un sens de la dignité, un homme qui a restauré la morale internationale en politique, il a restauré la morale internationale que Tony Blair et Bush ont détruite. Il a réussi à ramener tout cela en vertu de sa stature, ... ses convictions, son sens de l'éthique et des choses de ce genre. Il croyait en la force du droit, tandis que les autres croyaient au droit du plus fort.
TR: Vous êtes venu au pouvoir à deux reprises par des coups. Aujourd'hui, auriez-vous fait les choses différemment?
JR: Oui, j'aurais fait les choses exactement comme je l’ai fait.
TR: Vous pensez donc que, parfois, les coups sont nécessaires quand il n'y a pas d'autres moyens pour obtenir un changement?
JR: Ainsi semblait-il à l'époque. Quant à savoir si cette règle s’applique de nos jours, c'est ce que je ne peux pas dire. Mais en ces jours-là, je sais que c'était une nécessité.
TR: Cela-vous manque-t-il de ne plus être président?
JR: Ce fut un travail très fatigant pour moi.
TR: Et pourtant vous l’avez embrassé par deux fois...
JR: Oui, j'ai dû revenir parce que si je n'étais pas revenu, il y aurait eu une autre explosion. Je me suis levé pour les élections parce que quand j'ai entendu les messages de ces acteurs du multipartisme [ils m’avait tout l’air] de vouloir nous ramener en arrière. Donc pour moi c'était un travail très fatigant, vraiment. Certaines personnes en raffole, ce n’est pas mon cas.
TR: Certes, mais, mais vous ne semblez pas vraiment avoir pris votre retraite ...
JR: Comment puis-je prendre ma retraite? En Afrique, il est difficile de prendre sa retraite! Parce que ce contre quoi je me suis battu n'a pas changé. Voyons, Jésus-Christ nous a enseigné une leçon il y a 2000 ans, et la même chose s’enseigne toujours. C'est la même chose avec la politique en Afrique, je suppose. Tant que le non-sens continuera, je vais continuer à parler.
TR: Vous n'avez pas peur d'interférer avec l'action de votre ancien vice-président et actuel président du Ghana John Atta-Mills? N’en arriverait-on pas à se demander qui est le vrai chef de l'Etat?
JR: Peut-être bien que oui, peut-être que non. Mais je vais parler parce que ce n’est pas au nom de mon parti ou de mon président que je parle, mais je parle au nom d’un principe. Et tant que je suis neutre ou que je suis ce principe, vous m'entendrez. Je vais parler.
TR: On parle parfois de quelques tensions entre [actuel président du Ghana] John Atta-Mills et vous.
JR: Oui. Dans une certaine mesure, c'est vrai parce que je ne cesse de lui dire qu'il est lui-même entouré de gens qui ne devraient pas être là. Il s'est entouré de gens qui n’arrêtent pas de poignarder le parti et certains d'entre nous dans le dos. Je continue de l'avertir que s'il ne change pas, s'il ne s'améliore pas, il sera le président d'un seul mandat. Il n'écoute pas maintenant, et au moment où il va commencer à écouter, je pense qu'il serait presque trop tard. Les gens sont déçus par lui et son entourage
traduit par Binason Avèkes
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