Ma Chère Rozanne,
Tu me demandes ce que je pense de la caution à 100 Millions pour être candidat à la présidence de la République. Et ta question à laquelle je vais essayer de répondre, m’en fait poser une autre : Quelle leçon avons-nous tiré de l’expérience de Yayi Boni dans le vote des lois électorales ?
Parmi les nombreuses dispositions des lois électorales qui se votent ces temps-ci à l’Assemblée, en effet, il est question de faire subir une inflation démesurée à la caution pour être candidat à l’élection présidentielle : la porter à 100 Millions ! Le but visé dit-on est dé réduire le nombre pléthorique de candidats, d’éviter de faire de l’événement de l’élection présidentielle cette espèce de foire aux candidats qui finit par obscurcir le jeu politique et complique les alliances. Pour beaucoup de candidats, la candidature à la présidence est une bonne carte de visite politique, pour négocier ensuite une reconnaissance avec le vainqueur. Il s’agit donc d’une stratégie politique de positionnement pour avoir pion sur rue et faire de belles affaires sur le marché gouvernemental. Cette démultiplication des candidatures traduisant aussi le penchant individualiste des Béninois, la décourager ce n’est pas seulement assainir les mœurs politiques, mais aussi c’est faire œuvre morale utile ; montrer aux uns et aux autres que se regrouper et relever de regroupements larges confèrent à la démarche présidentielle plus de chance et plus de sens.
Toutefois, ma chère amie, atteindre ces buts oblige-t-il à manier le seul levier de l’argent et surtout à ce haut niveau ? 100 Millions n’est-ce pas un niveau de caution excessif ? Ne traduit-il pas l’intention d’enfermer la politique dans le club des seuls manieurs de gros sous ? Les Ministres, Directeurs de Sociétés, Présidents et autres qui ont détourné et détournent des Milliards en toute impunité seront parmi les premiers à pouvoir entrer dans la danse, aux côtés de quelques partis qui se saigneront aux quatre veines. Non seulement ce club fermé de tristes comparses pilleurs en toute impunité de l’économie nationale, contrebandiers et laveurs de chèque de toute obédience recevra cette augmentation de la caution à 100 Millions comme un appel d’air, mais ses membres y liront la justification de leur basses œuvres, et le message à peine crypté que le pouvoir suprême est leur apanage. Dans le même temps se verront symboliquement écartés de la prétention à accéder au pouvoir présidentiel les gens simples et honnêtes – paysans, artisans, intellectuels et fonctionnaire probes – qui n’ont jamais au grand jamais détourné des deniers publics ; ou bien ceux dont les détournements ne se chiffrent pas en milliards. Car, vois-tu chère amie, se qui se joue dans l’augmentation de la caution à 100 Millions, ce n’est pas seulement un appel d’air à tous ceux qui ne jurent que par l’argent, mais surtout à tous ces nouveaux enrichis dont l’unité de compte est, depuis 2006, passée au Milliard !
L’argument pécuniaire était-il le seul pour limiter la fièvre du marché de la candidature à l’élection présidentielle ? Était-il le plus efficace moyen de réduire le nombre des candidats ? Était-il le plus moral ? Et, à supposer que ce remède fût efficace, ses effets secondaires ne seront-ils pas à terme pire que le mal ? Des groupes politiques qui accèdent au pouvoir à des postes divers (Président, Ministres, Députés, Directeurs de Société, etc..) , sachant que le législateur lance ainsi le défi de l’argent comme filtre censitaire à la jouissance du droit électoral ne seront-ils pas enclins à exaspérer la tendance déjà ruineuse à détourner les biens publics ? Si le législateur lui-même fait monter les enchères à ce point, comment s’étonner après de la frénésie et de la démesure du vol des deniers publics par les hommes au pouvoir ? Comment s’étonner du changement d’unité de compte dans le détournement des deniers publics, qui est peut-être la seule chose qui a changé depuis 2006 ? Avons-nous tiré la moindre leçon de l’expérience de l’accès au pouvoir et de son exercice calamiteux par un homme comme Yayi Boni ? Des hommes émargeant professionnellement au milieu de l’argent – pas toujours propre du reste – n’auront aucune peine à se porter candidat, avec toutes les conséquences que cela comporte, et que nous subissons actuellement.
S’il est nécessaire de réduire le nombre de candidats à l’élection présidentielle, la réponse appropriée ne devrait pas résider dans une augmentation faramineuse de la caution. Pourquoi ne pas fixer des exigences d’ordre politique, par exemple le fait d’être le candidat exclusif d’un ou de plusieurs partis ; puis à ces partis fixer des conditions pour être éligibles à porter un candidat à l’élection présidentielle ? Pourquoi ne pas instituer l'exigence de signatures d'élus, comme cela se fait en France, quitte à ajuster le nombre de signatures en fonction de l'objectif visé ? Bref, les pistes ne manquent pas, mais on a préféré légiférer dans l'urgence pour parer au plus pressé.
Les lois doivent s’appuyer sur les expériences passées ou en cours en vue de les améliorer. En choisissant d’actionner le seul levier de l’argent, non seulement on fait de l’argent le roi, non seulement on fait un appel d’air aux voleurs de milliards, non seulement on crée un syndrome de club, mais on semble n’avoir tiré aucune leçon de ce qui a rendu possible l’accès à la présidence d’un homme comme Yayi Boni. Par la préférence donnée à l’argent fait roi, on encourage les enrichis à penser que la présidence c’est leur affaire exclusive. Et parmi eux le nombre de gens honnêtes, qui n’ont pas détourné les deniers de l’état se compte sur les doigts d’une main.
Voilà ce que je pense de ta question, ma chère Rozanne. Le problème de la prolifération des candidatures à l’élection présidentielle n’est pas seulement politique mais il renvoie aussi à notre mentalité, à l’individualisme incurable du Béninois. Et on doit y apporter une réponse à la fois politique et éthique. Mon sentiment est que cette décision, quoique louable dans ses intentions, est mal pensée et vicieuse dans son principe. Il s’agit d’un remède qui risque d’être pire que le mal. En portant la caution pour être candidat à l’élection présidentielle à 100 Millions ( 0,1Milliard) de francs, au lieu d’explorer d’autres voies pour limiter le nombre des candidatures, je crains que le législateur ne fasse basculer les mœurs électorales et partant politiques dans une spirale inflationniste de l’argent-roi qui pose plus de problèmes qu’elle n’en résout.
Porte-toi-bien, ma chère amie et bien de choses à Clotaire, Philomène, Venance et Arcade…
Ahokponou Basile
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