Pourquoi avec les Ministres sous Yayi Boni, il est plus question de limogeage que de démission ? Cette question est pertinente. Ce n’est pas seulement une question de style mais aussi un enjeu éthique, médiatique et symbolique d’une grande portée politique. Pour répondre à cette question, il convient de revenir au sens des mots.
Démissionner, selon le Littré, c’est donner sa démission ; la démission étant l’acte par lequel on renonce à une dignité, à un emploi. Limoger, en revanche, c’est relever (un officier général) de son commandement ; frapper (une personne haut placée) d’une mesure de disgrâce ( déplacement d’office, mise à la retraite, ou à l’écart.) Syn. Destituer, disgracier. La démission, surtout dans le cas politique d’un ministre, peut être acceptée ou refusée par le chef hiérarchique à qui elle est donnée. D’un point de vue syntaxique, il est intéressant de noter que le verbe démissionner est un verbe intransitif ; il possède un sujet mais n’a pas d’objet, tandis que le verbe limoger est transitif et possède à la fois un sujet et un objet. Cette distinction n’est pas anecdotique car elle dénote de la différence du statut actanciel de ses deux verbes/situations. Le limogeage est à la démission ce que le meurtre est au suicide. Dans un cas, il y a une contrainte souvent extérieure, plus physique que morale, et dans un autre, il y a une volonté, intérieure plus morale que physique. Dans un cas l’acte est commis par un autre dans l’autre il est le fait du sujet en cause.
Dans les démocraties civilisées, quand on observe la manière dont les vicissitudes politiques au sein d’un gouvernement conduisent au départ d’un ou plusieurs de ses membres, on constate que ce sont les mis en cause qui donnent leur démission. Du moins c’est ainsi que la communication politique du chef du gouvernement présente les choses. Tant il est vrai que, pour un ministre, le départ d’un gouvernement pour faute avérée, affaire, ou situation politique critique est en soi affligeante pour que sa mise en scène publique ne soit pas humainement atténuée par une formalisation convenable.
Le choix de cette formalisation est une attitude civilisée, c’est-à-dire pleine de grâce et d’humanité qui vise à équilibrer le fond, que constitue le départ d’un Ministre du gouvernement, par la forme, qui épargne l’amour propre du partant. Mais le choix de cette forme vise aussi à montrer que le partant met en jeu ses ressources morales et tire leçon de ce qui fait crise. Epargnant ainsi au chef la charge morale d’avoir à le limoger. Ce procédé formel ne maintient pas seulement sauf l’honneur du ministre sortant, mais il offre un paravent moral contre les critiques de l’opposition, qui ne manque pas une occasion d’exploiter l’embarras du gouvernement. Par certains côtés, ce libéralisme humaniste qui marque l’éviction d’un ministre, n’est pas sans rappeler la forme libérale que prenaient les sentences anciennes où la sanction, punition ou peine de mort est ordonnée et laissée au libre arbitre du coupable.
Dès lors le procédé contraire qui consiste à limoger, plutôt que de laisser un Ministre démissionner est dotée des intentions et des qualités contraires. Il charrie avec lui un aspect autoritaire. L’origine militaire du mot limoger montre bien cet aspect. On y a recours comme sanction active qui réaffirme l’ordre d’un commandement. Il s’agit d’un moment d’affirmation voire d’illustration d’un rapport de Chef à subordonné.
Donc Yayi Boni en présentant volontiers les départs de Ministres de son gouvernement comme un limogeage, veut montrer qu’il fait preuve d’autorité ; alors qu’il trahit dans le fond son penchant autoritaire. C’est pour lui l’occasion de jouer au docteur qui fait une intervention chirurgicale, de dire que si faute il y a, le fautif a été isolé, puni, et séparé du groupe gouvernemental. Cette affirmation et mise en jeu du rapport hiérarchique vise expressément à se blanchir de toute idée de culpabilité collective ou de responsabilité hiérarchique. Cette tactique est d’autant plus curieuse que les raisons de limogeage sont souvent d’ordre moral, liées à un climat éthique d’ensemble dont on ne voit pas comment le Ministre-bouc-émissaire en serait seul l’incarnation singulière. Par exemple, on ne peut nier qu’un esprit cauris mis en vogue par le Chef de l’État lui-même depuis 2006 rende raison de l’appât du gain facile sans référence au mérite – il n’y a qu’à voir comment on choisit un Ministre uniquement en raison de son nom – ni au travail soit à l’origine de l’Affaire ICC-Service qui dans sa tourmente, vient d’emporter un ministre et non des moindres !
Donc il y a autoritarisme avéré dans le fait de présenter à chaque fois le départ d’un Ministre du gouvernement de Yayi comme un limogeage. Le schéma est manichéen. Il y a d’un côté un Chef qui est innocent-propre-et-sans tâche et de l’autre le ministre fautif qui est incompétent et moralement douteux. Un chef qui montre qu’il a de l’autorité, comme si le fait de montrer qu’on a de l’autorité est une fin en soi. Et que dans ces affaires éthiques et politiques, on ne peut pas seulement se suffire de montrer qu’on a de l’autorité, mais on doit mettre en place un univers éthique et pratique qui à défaut d’éviter d’avoir à montrer qu’on a de l’autorité, diminue sensiblement les sources de violation de la loi, de manquements divers à l’éthique aussi bien gouvernementale que collective.
Enfin, il y a un aspect du recours au limogeage qu’on ne doit pas passer sous silence et qui est à la décharge du chef de l’Etat béninois. C’est le fait que les Ministres ont une mentalité de sangsue et n’ont cure d’aucune considération morale même dans les cas les plus moralement affligeants où leur responsabilité est en cause. Tant qu’on ne les a pas chassés de leur poste, qui est pour eux une véritable vache à lait, ils ne s’en iront jamais. On comprend que devant une telle mentalité bestiale portée au cynisme le chef de l’Etat montre au créneau.
Prof Cossi Bio Ossè
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