Publié en 2008
Pour Comprendre l'Originalité des Images du Président
On ne connaissait pas Yayi Boni en politique avant 2006. Du coup, la découverte progressive de sa personnalité, son actualisation étonne et choque. Il y a d’abord ses démêlées avec les partis politiques qui se réclament de son élection triomphale et qui l’accusent de n’avoir pas respecté les promesses contenues dans l’accord électoral qui l’a porté sur les fonts baptismaux de la magistrature suprême du pays en 2006. Cette accusation non démentie a fait apparaître Yayi Boni comme un homme non fiable, qui se moque comme d’une guigne de sa parole comme des contrats politiques qu’il a pourtant signés en bonne et due forme, un homme qui n’a d’yeux que pour ses intérêts. Cette image va encore plus loin pour certains qui considèrent que ce ne sont pas les contingences de la politique qui expliquent le refus de Yayi de respecter ses partenaires à travers l’accord qu’ils ont signé, en tenant les promesses qu’il contient. Pour eux, ce viol de la parole donnée était bel et bien prémédité ; ce contrat signé n’était rien moins qu’une duperie car dans le for intérieur du futur président, il n’était nullement question de respecter les engagements qu’il a pris avec le groupe Wologuèdè. Ce qui ajoute à l’image de Yayi Boni les chefs d’accusation d’hypocrisie et de cynisme. Ces qualités – c’est-à-dire in fine, ces défauts – qui sont de nature morale se prolongent avec l’aspect psychologique de la personne de Yayi Boni. Très tôt, Yayi Boni n’a pas caché son caractère autoritaire. Et le fait qu’il a été élu à 75% à une large majorité n’y a pas peu contribué. On a vu comment a réagi Monsieur Yayi Boni à la publication par "La Diaspora de Sabbat", d’un article disant que "Le fils aîné du président Yayi Boni était en état de démence" : les journalistes suspectés, Virgile Linkpon et Richard Couao-Zotti, ainsi que deux responsables interpellés, ont passé trois jours derrière les barreaux en septembre 2006. Dans le même ordre d'idées familiales, des rumeurs de bastonnades conjugales révèlent les manifestations de ce caractère autoritaire. Mais plus sérieusement, ce caractère s’exprime dans le contexte politique avec des effets visibles et irréfutables. Pour un oui ou pour un non, le nouveau Président n’hésitait pas à limoger tel ou tel de ses Ministres ou Directeurs de service de société. Histoire de rappeler à chacun et à tous qu’il est le seul maître à bord. Dans un premier temps, la chose est apparue comme normale et nécessaire pour un homme qui parle de changement. Et cela s’expliquait par le besoin de restaurer l’autorité de l’Etat après la période laxiste qui a précédé. Mais peu à peu avec l’exaspération de cette tendance, les dérapages fréquents ont montré au grand jour que ces raisons n’étaient que la façade d’une idiosyncrasie bien ancrée, bref son naturel autoritaire. Cet autoritarisme ayant perdu son masque s’est révélé dans sa vérité libre comme l’expression du caractère d’un homme avant d’être l’expression de la volonté d’un Chef soucieux de mettre ses concitoyens et ses collaborateurs au pas. Si l’aspect purement psychologique de ce travers peut être renvoyé au domaine personnel ses implications politiques ne peuvent, elles, laisser longtemps indifférent. En effet, on a pu voir à l’œuvre leur traduction concrète dans la vie politique de notre pays. Du limogeage du Ministre de l’Education, Mme HOUETO, après seulement quatre mois en poste, aux récentes ordonnances prises par le Président de la République pour faire pièce au blocage du parlement, il ressort clairement que le chemin qui va de l’autoritarisme idiosyncrasique à l’autocratie politique est la voie royale qu’emprunte Monsieur Yayi Boni.
Après l’image morale et l’image psychologique négatives que peu à peu le président à fini par donner de lui-même, l’image idéologique apparaît elle aussi comme négative. On ne sait pas si Yayi Boni a toujours rêvé d’être Président de la République, mais force est de reconnaître que la chose ne lui déplaît pas, et on peut supposer que ce n’est pas en 2006 qu’il en a conçu promptement l’idée. Par rapport à ce rêve, il a intériorisé des références, des méthodes et des pratiques érigées en modèle de rêve. Et bien que celles-ci soient terriblement déphasées son bonheur intime est d’y recourir ; il veut les vivre et les revivre en dépit du bon sens comme s’il allait à la recherche d’un rêve perdu. En cela Yayi Boni tient à la fois du héros proustien et de don Quichotte. Et ces personnalités arcboutées sur des rêves terriblement déphasés, il n’a de cesse de les actualiser. Sous les dehors de la modernité et de la nouveauté, il prend plaisir à caresser, à nourrir leur racine fantasmatique au lieu de changer de terrain et de terreau. Ainsi, le changement prôné par Yayi Boni a plus d’un air de famille avec le premier Régime de Kérékou. A ce régime révolutionnaire, et surtout dictatorial, Yayi Boni prend tout le côté autoritaire, irrationnel, populiste, délinquant et totalitaire, en substituant la rationalité du libéralisme béat à la béatitude dirigiste du marxisme-léninisme. Sur le plan des pratiques politiques, il a parfois fait pire que son modèle, Kérékou, en matière de contrôle des médias, du culte de la personnalité et de la propagande d’Etat. De plus, en s’inspirant d’un modèle totalitaire suranné, Yayi boni a porté l’instrumentalisation des institutions de la République à un haut degré d’exaspération impensable dans le contexte de Renouveau démocratique. Sa touche particulière a consisté à injecter dans son imitation du modèle dictatorial, une bonne dose de violence parodique mâtinée de cynisme décomplexé. Alors que les modèles de référence dictatoriaux (Mobutu, Eyadema, Kadhafi, Pinochet, etc.) ne cachaient ni leurs moyens ni leur finalité, les agissements et les mises en scène parodiques de Yayi Boni visent à réaliser le grand écart entre la réalité foncièrement autocratique et les apparences formelles d’une démocratie. On le voit de nos jours par tout ce qui se passe autour des élections municipales. Jamais les séquelles et les disputes d’une élection n’ont traîné en longueur que sous le règne de Yayi Boni, entre les reprises d’élections dans tous les sens et les non-installations des conseils communaux ou les installations à la sauvette au petit bonheur lorsque cela arrange le pouvoir FCBE. Ce théâtre politique de violence, de farce et de parodie apparaît bien comme une répétition générale, un signal ferme et un conditionnement pour 2011 érigé en obsession cardinale. Mais ce qui frappe dans ces agissements c’est leur audace sous le plein soleil de la démocratie, leur caractère décomplexé et iconoclaste, le mépris étrange de la démocratie, de la justice, de la vérité, du respect de l’autre, des autres, bref l’intolérance viscérale qu’ils trahissent. Et qui dit vérité ou respect, dit moral. Et le cercle des défauts ou des images négatives de Yayi Boni se referme sur lui-même.
Alors la question qu’on peut poser, c’est de se demander en quoi ces images nous choquent-elles ? Et par rapport à quoi ?
Évidemment, on peut dire que ces images négatives – et c’est peu dire que de qualifier ces actualisations de simples images – que Yayi Boni donne de lui-même nous choquent en et par elles-mêmes. Moralement, politiquement et surtout idéologiquement. L’autoritarisme conduit à l’autocratisme qui est antinomique de la démocratie. Le totalitarisme rime avec le mépris de la démocratie. Alors on se demande comment on peut sauver la démocratie du changement, façon Yayi Boni ? Tout citoyen a le devoir sacré de lutter pour ce salut.
Mais le choc des images morales, politiques et idéologiques négatives que Yayi Boni donne de lui-même, et par ricochet du Bénin, nous confronte enfin de compte à ce qu’on pourrait appeler une parallaxe logique. Eh bien qu’est-ce à dire ? En effet, quand on compare une chose à elle-même, on compare deux états ou deux positions différentes de la même chose. Ainsi, pour Kérékou, on peut comparer Kérékou 1 à Kérékou2 ou 3 sans problème. On compare ce faisant les 18 années de son aventure révolutionnaire aux 10 années de sa gouvernance démocratique. Et dans ce cas, il n’y a pas photo comme on dit vulgairement. Même chose pour Soglo. On peut comparer le Ministre des Finances du Dahomey, ou le Premier Ministre sous la transition au Soglo, premier Président de l’ère du Renouveau démocratique. Là aussi, il n’y a pas photo. Mais quand on en vient à Yayi Boni, la chose se complique. Dans le cas de Yayi Boni, non seulement faut-il comparer ce qui est comparable mais on compare quoi à quoi ? En effet, à y regarder de près, on se rend compte qu’on compare une idéalité imaginaire et fantasmée à la réalité qui s’actualise peu à peu sous nos yeux ébahis. Là réside la parallaxe. Et c’est le résultat de cette comparaison qui choque moins que les images négatives elles-mêmes. Et parce qu’on ne sait pas quel homme politique était Yayi Boni avant, et qu’on le découvre au fur et à mesure de son action et de ses actes on s’étonne qu’ils détonnent par rapport à nos rêves et à nos attentes. Même lorsque ces rêves et ces attentes sont érigées par nous en normes a priori. Du coup désarçonnés, nous nous posons des questions sur qui il est, où il va et ce qu’il veut faire. Son actualisation nous déroute, comme déroute l’héroïsme suranné d’un Don Quichotte. Quand on considère les agissements qui façonnent la gouvernance étrange de Yayi Boni, on à peine à croire qu’on puisse au Bénin de nos jours revenir à des pratiques aussi irrationnelles, aussi brutes et aussi viles que celles qui ont marqué jusqu’ici certains actes, décisions et choix du timonier du Changement. Ces actes décisions et choix, ces derniers temps se sont cristallisés dans leur quintessence funeste autour des élections municipales érigées en véritable fixation. Et la question qui vient à l’esprit est de se demander si au-delà des aspects évoqués ici, si la gouvernance étrange de Yayi Boni corroborée par la dramatisation orchestrée autour des élections municipales ainsi que des actes allant dans le même sens, ne sont pas le signe d’une certaine pauvreté politique.
Il se pourrait que Yayi Boni soit vraiment un homme épris de changement et du bien-être du Peuple du Bénin, mais un homme qui est cerné d’un côté par les contraintes de la démocratie qui l’a vu naître en tant qu’homme politique, et de l’autre par un grand nombre de monstres plus ou moins sacrés que ces mêmes contraintes de la démocratie favorisent à son détriment. Un homme qui aurait rêvé d’une révolution pour atteindre des buts élevés et qui faute d’en avoir les moyens constitutionnels se mord les doigts, perd son sang froid, et devient fou de rage. Du coup, le pauvre homme (politiquement parlant bien-sûr, – car l’ex-banquier et surtout le Président en quelques années en a mis un peu de côté en termes pécuniaires) face à ses ennemis monstrueux et redoutables se voit obligé de faire flèche de tout bois. Et ce sont sans doute cette pauvreté politique et la manière maladroite de parer à ses conséquences qui semblent faire désordre, choquent et nourrissent l’impression de bizarrerie dans l’image de Yayi Boni.
Dès lors dans ce schéma purement hypothétique, et dont la naïveté délibérée se veut avant tout méthodique, il ne faudrait pas comparer Yayi Boni avec un passé qu’il n’a pas, mais avec le futur ou l’avenir pour lequel il se bat avec les armes du pauvre, en faisant flèche de tout bois !
Binason Avèkes
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