“L’Être se produit comme multiple et comme scindé en même et autre. Il est société et, par là, il est temps.”
Emmanuel Lévinas, Totalité et Infini, éd. Nijhoff, 1961
Le Dahoméen, qu’il faut distinguer du Béninois, par culture, a besoin d’avoir des ennemis ; et parmi eux un ennemi cardinal. Un Dahoméen sans ennemis – frère, relation, collègue, – n’est pas encore complet. C’est l’ennemi qui justifie sa valeur. Si vous avez une femme que personne ne convoite, comment-pouvez-vous être sûr de sa valeur érotique et esthétique ?
C’est ce que révèle la thématique des chansons réunies ici sous le titre de la haine de soi. C’est cette idée que sert le chanteur dans sa prise de parole. Avec quelques variantes, l’attitude d’ensemble est celle du sage qui en connaît tout un rayon sur ce qu’il faut bien appeler “ la nature humaine” et qui, à titre privé, donne là-dessus des conseils à son auditoire.
Sous les dehors débonnaires qu’encourage l’air musical, la posture est plus philosophique qu’il n’y paraît. Tout s’articule autour des concepts de “gbê”, de “gbêto”, et de “sê”. Le “gbê” et le “sê” sont source de promesse. Le “gbê” est régi par des règles, dont l'obligation de connaître le “gbêto” pour être au diapason de son “sê”contre lequel le “gbêto” ne peut rien. Le “gbêto”, en revanche, est un être négatif.
Ce type de thématique est devenu un topos incontournable des chansons du sud du Bénin, qu’elles soient traditionnelles ou modernes. Même si la thématique prend son origine dans la forme traditionnelle. A l’instar des contes, une des fonctions de la chanson est de délivrer une leçon, de donner à réfléchir. C’est pour cela que le chanteur énonce le thème de sa chanson, l’enrobe de quelque proverbe, image ou métaphore, entonne un refrain intermédiaire puis au détour d’une formule consacrée ( nou é do han tché min on : ce qu’il y a dans ma chanson) commence à expliquer le propos de sa chanson.
Ceci traduit le fait qu’entre le chanteur et l’auditeur, s’établit un contrat moral et un rapport de dépendance pédagogique de sage à apprenant, de délivreur à récepteur de leçons.
Les éléments de négativité qui pèsent sur le “gbêto” sont :
– L’homme est mauvais, et méchant
– Ne pas faire confiance à l’homme
– L’autre vit mal le bonheur de son semblable et n’a de cesse de l’anéantir
– Il faut se méfier de l’autre
– Seul le Destin prime
– La vie a des lois qu’il faut observer pour triompher
La valorisation du destin qui va de pair avec la dénonciation de la méchanceté de l’autre et de son pouvoir nocif apparaît comme une contradiction ; comme si l’autre eût partie liée avec le destin et le pouvoir de l’abolir. Mais le destin est énonciation du possible ; un possible qui, à l’intérieur des lois du “gbê” que nous devons respecter, se réalise.
Cette thématique de la négativité éthique est élevée au double niveau de métaphysique et de genre. En tant que métaphysique elle se donne comme représentation négative de l’autre et ferment d’un scepticisme diffus de l’interaction sociale. En tant que genre thématique de récit – chansons ou contes – elle véhicule le discours de la méfiance de l’altérité. C’est un genre valorisé par les chanteurs dahoméens qui y font recours avec une consciencieuse alacrité, et un sens élevé de leur devoir de transmetteur de la sagesse sur la nature humaine. Tout ceci aboutit à un moralisme de la défiance de l’altérité, source de la haine de soi, typiquement dahoméenne.
Il est temps d’inverser cette tendance, qui a trop nuit à notre imaginaire collectif, et à notre histoire sociale et nationale. Et cette inversion nécessaire est possible avec bonne volonté et amour, comme le montre le récit de Gabriel Patchanou, chanté par Ezin Gangnon, qui est un contre exemple du corpus de chansons étudiées ici.
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Binason Avèkes
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