Par Prof. Cossi Bio Ossè.
Sous le deuxième mandat démocratique de Kérékou, aux alentours de 2005/2006, la violence et les actions des bandits apparaissaient de façon spectaculaire et sporadique. Mais elles étaient d’autant plus spectaculaires que rares. C’est dire que dans les années qui ont précédé, le Bénin était un pays relativement calme sous l’angle du grand banditisme, des vols à mains armées, de la violence spoliatrice de groupes professionnels. Bien sûr, comme toutes les sociétés humaines, le vol existait. Mais il sévissait surtout sous ses formes artisanale, traditionnelle, campagnarde, bénigne, pernicieuse, crapuleuse : vol de poules et de moutons, de moto et de véhicules, vol à l’étalage, à l’arraché, cambriolage de domiciles de boutiques, toutes entreprises qui privilégiaient la discrétion, évitaient la confrontation directe entre victimes et assaillants et qui, dans le meilleur des cas, usait de la fuite comme moyen de se soustraire à la violence. Dans ces temps bénis, c’était le voleur qui courrait le risque d’être victime de la vindicte populaire. A tort ou à raison, la foule se faisait justice, et on ne comptait pas le nombre de victimes de sa tempête punitive dont certaines se soldaient par des erreurs judicaires regrettables. C’est vers 2004, 2005 lorsque le régime Kérékou finissant était au plus fort de sa déliquescence morale et économique et que la misère s’étendait pendant qu’une minorité de corrompus gravitant autour du pouvoir en place menaient bonne vie, que les choses ont commencé à se gâter sérieusement. Il était apparu en effet que toute cette masse de miséreux qui s’accumulaient dans les villes ne pouvait pas se recycler dans les menues professions de débrouille ou de conduite de taxi-moto. Alors la culture de débrouille après avoir longtemps opéré à la loyale, à bout de souffle, a fini par basculer dans son versant crapuleux et illégal. Les grands bandits qui jusque là étaient rares ont commencé à avoir pignon sur rue. Longtemps contenus au-delà des frontières nationales, notamment du côté du Nigéria, ils ont commencé à prendre position dans nos quartiers, à visiter nos marchés, à semer des morts sur leur passage, à verser le sang, à s’attaquer aux banques. Une grande école du banditisme est née, que la circulation et le marché noir des armes de guerre n’ont fait que conforter. Avant, sous Kérékou, les quelques rares actions spectaculaires de banditisme qui ont fait parler d’elles étaient signées ou avaient des connections avec le milieu transfrontalier. Ce qui a changé sous Yayi Boni a été l’évolution vers une autonomie et une nationalisation de la violence des bandes armées. Et comme le Béninois est imitateur de naissance, les bandes armées ont commencé à essaimer dans nos grandes villes au nez et à la barbe de nos forces de sécurité qui se sont peu à peu laissé submerger par le phénomène.
Les raisons qui expliquent cette invasion brutale des bandes armées et l'aggravation préoccupante de la situation sécuritaire, entre le moment où Kérékou quitte le pouvoir et le moment où Yayi Boni, arrive sont multiples. Premièrement, il s’agit d’un phénomène sociologique qui consacrait l’autonomisation du savoir faire des bandes autochtones qui ont longtemps vu faire, appris au contact de, ou collaboré avec les milieux transfrontaliers. Ce phénomène mettait en jeu l’éthique ambigüe de l’imitation très valorisée chez le Béninois. Si quelqu’un fait quelque chose, par jalousie, ou par volonté de noyer son succès dans la masse, une autre personne le répète, puis une autre ainsi de suite. Ce mouvement est typiquement Béninois, et il est ambigu. On le voit par exemple à l’œuvre en politique avec l’épidémie de pardon qui y sévit, et où même un Président de la République après avoir vu faire un opposant sérieux, s’en va par les chemins et les hameaux présenter son pardon à tel ou tel de ses victimes politiques supposées. Donc cette éthique du mimétisme typiquement béninois a joué un rôle dans le phénomène sociologique de la montée en puissance de cette nouvelle criminalité des bandes armées et de leur organisation, en prise d’ailleurs sur la maîtrise des nouvelles technologies : armes sophistiquées, internet, téléphone portable, etc…
L’autre aspect sociologique du phénomène est la jeunesse des criminels, qui correspond à la génération dont les parents ont été sacrifiés sur l’autel des délires politiques des années 80. Tout le monde ne pouvant pas conduire le zemidjan, les enfants de ces sacrifiés de la première heure étaient aussi ceux qui ont voté massivement pour le changement en 2006. Mais très vite, ils ont compris que ce changement ne leur apporterait rien qui vaille. Alors ils ont basculé dans la culture de débrouille violente et la criminalité, sans états d’âmes, et sans illusions sur les nouveaux dirigeants dont ils ont tôt fait de comprendre que les promesses n’étaient que leurre. Du reste au vu des assassinats de juges, de massacres politiques ou des sacrifices humains qualifiés souvent de bavures et qui se commettent depuis 2006, les jeunes criminels qui tuent aujourd’hui pour voler, savent qu’ils n’ont pas de leçons de morale à recevoir de leur confrères des milieux politiques ou qui gravitent autour de l’État.
Mais la réponse précise à la question de savoir pourquoi Yayi Boni a laissé se dégrader la situation sécuritaire du pays est une réponse à la fois politique et logique. Politique parce que Yayi Boni n’a pas fait de la sécurité des Béninois son objectif. Il a parlé de cauris. Mais dans cauris, tout le monde en convient, il n’y a pas sécurité. Il se dit docteur en économie et pour lui, la politique ce n’est que ça : des prêts, des achats obscurs de machines agricoles, des surfacturation, des constructions d’aéroports fantômes, de ponts et d’échangeur, et toutes les décisions qui ont un impact électoral direct. Or la sécurité est une chose complexe, souterraine, discrète et qui a besoin de moyens matériels, moraux et humains qui ne produisent pas une plus-value électorale directe dont le peuple pourrait s’extasier. Car l’absence d’insécurité ne se voit pas. Or investir dans la sécurité c’est investir dans l’absence d’insécurité, c’est-à-dire dans quelque chose qui ne se voit pas. Ça, c’est le moindre défaut du Docteur Yayi ! C’est pour cela que ça ne l’intéresse pas du tout car lui n’entend faire que les choses qui se voient, comme l’échangeur, par exemple. Donc Yayi Boni a laissé s’amplifier le phénomène de l’insécurité parce que investir dans l’absence d’insécurité c’est investir dans quelque chose qui ne se voit pas ; et qui se voit d’autant moins que jusque-là notre société était une société paisible, un havre de paix.
Enfin, l’autre raison pour laquelle Yayi Boni a laissé se dégrader la situation sécuritaire du pays est logique, et plus précisément psychologique. En effet, pour que la guerre qui va arriver en 2011, suite aux élections truquées, avec son lot de calamités, de violence, de sang versé et de morts ne s’abatte pas sur le pays sans transition, à l’instar du massacre inhumain des paysans d’Adja-Ouèrè sans défense, la dégradation du climat sécuritaire est installée exprès à titre d’avertissement et de signe d’une période de terreur et de mort dont le pourvoyeur numéro un est celui qui en a les moyens suprêmes d’État. De ce point de vue, Yayi Boni voit dans l’œuvre de terreur des bandes armées une forme de sous-traitance de la terreur dont il a besoin pour s’assurer de la docilité des Béninois, de leur crainte et de leur soumission à son obscure volonté en 2011.
Il y a donc une complicité objective entre l’aggravation drastique de l’insécurité et la volonté de Yayi Boni de s’imposer au Béninois, de passer en force en 2011. Comme toutes les complicités objectives, jusqu’à quel point les acteurs en ont conscience ? Telle est la question. Quoi qu’il en soit, nous avons affaire à une solution de continuité de la part d’un homme déterminé, d’un dictateur organisé et prévenant. Nous sommes avertis. Faut-il l’en remercier ?
Prof. Cossi Bio Ossè
Copyright, Blaise APLOGAN, 2009,© Bienvenu sur Babilown
Tout copier/collage de cet article sur un autre site, blog ou forum, etc.. doit en mentionner et l’origine et l’auteur sous peine d’être en infraction.
Commentaires