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Pourquoi les Hommes Politiques Africains sont-ils des Voleurs de Deniers Publics ?
En fait contrairement au dicton qui dit que le pouvoir corrompt, ce n’est pas au pouvoir que les hommes politiques africains deviennent des voleurs. C’est pour voler qu’ils viennent au pouvoir. Comme ailleurs, ils volent bien sûr pour se donner la capacité de conquérir ou de maintenir leur pouvoir, mais au-delà de cet aspect universel, les hommes politiques africains volent pour s’enrichir personnellement souvent à la limite de l’obscène et de la démesure. Ceci est la traduction du fait que l’Afrique, historiquement a été exclue de la sphère mondiale du capitalisme en tant qu’acteur de premier plan, en dehors de son rôle de fournisseur de matières premières qui est l’une des sources même du crime de la corruption.
Ces crimes sont d’autant plus florissants qu’ils restent impunis. En Afrique l’impunité est le principe fondateur, organisateur et incitateur de la corruption et du détournement de denier public. Cette criminalité de haut niveau qui est le fait d’une classe donnée – la classe politique – n’est pas sans influence morale ou éthique sur le reste de la société. Et on peut valablement inférer une influence réciproque entre la corruption d’État et la corruption ordinaire.
Pourquoi les hommes politiques s’adonnent-ils frénétiquement et passionnément au vol de deniers publics ? Sans doute l’élément moral y joue-t-il un rôle important. D’abord parce que les hommes politiques n’ont pas reçu dans leur éducation les préceptes de vertu, et notamment ceux qui mettent l’accent sur le caractère sacré du respect du bien commun. Deuxièmement parce que les hommes politiques n’ont pas dans leur enfance intériorisé les modèles de vertu.
Au niveau de l’adulte, il en résulte que le vol de denier publics n’est pas considéré comme un crime préjudiciable à la collectivité mais comme un acte héroïque dans un contexte éthique de chacun pour-soi. Et il n’est pas jusqu’à l’aspect du vol très secondaire qui pour le voleur consiste à faire l’aumône autour de soi, à la fois pour se faire une fausse bonne conscience, et attirer des sympathies, qui ne contribue à l’institutionnalisation de la corruption.
C’est dire que la corruption est érigée en culture en Afrique. Elle est devenue au moins l’horizon indépassable de la culture politique en Afrique. Et le ressort essentiel de cette culture est historique et mental. Il s’agit de la représentation collective de l’État par le citoyen. Etant donné que tout ce qui touche à l’État : bureaucratie, institution, langue, etc. nous a été légué par l’étranger, le Blanc, nous restons figés dans une représentation de cet héritage comme quelque chose de formel, fondamentalement étranger, ne nous concernant pas sur le fond. Et le caractère artificiel de nos nations héritées de la colonisation traduit cet état de chose. C’est le fameux clivage entre le pays réel et le pays officiel. Ce clivage fait que dans l’espace officiel l’homme politique peut détourner tranquillement les deniers publics sans penser qu’il fait du tort à la collectivité, parce que dans son for intérieur, la collectivité, la vraie se limite à sa famille au mieux ou à son village ou à sa région au pire. Un homme politique africain voleur – ce qui est un pléonasme – ne vole pas l’argent de sa famille personnelle, puisqu’il est bien conscient que c’est l’argent commun qu’il doit gérer en bon père de famille. Si sorti de sa famille, et dans une moindre mesure de son village, il s’érige en voleur national, c’est qu’il considère la nation comme l’espace naturel de chasse ; c’est qu’il ne ressent pas la nation comme une famille. Ainsi la corruption a aussi partie liée avec le lien social et l’unité nationale. Le régionalisme qui est l’une des tares de notre vie politique est la traduction du relâchement du lien social et du morcellement fatal de la représentation de la nation. Et au niveau officiel, les gestes de développement à caractère régionaliste mêmes positifs restent porteurs d’ambigüité, dans la mesure où ils contribuent à institutionnaliser une vision parcellaire de la nation. Et on voit bien que toute la culture politique est basée sur cette logique parcellaire dont la conséquence se traduit sur le plan éthique. L’homme politique en effet est plus honnête avec sa famille personnelle qu’envers son village, plus honnête avec son village qu’envers son département, plus honnête avec son département qu’envers sa région, et plus honnête avec sa région qu’envers la nation. Or comme les ressources vont du cercle le plus large vers le cercle le plus restreint, on voit que c’est la nation qui en sort perdante. La nation dès lors est condamnée à rester le parent pauvre du développement et subit de plein fouet toutes les conséquences cumulées de la corruption.
Au total, les hommes politiques africains ne deviennent pas des voleurs au pouvoir mais s’intéressent à la politique et viennent au pouvoir pour voler et s’enrichir. Cette attitude de nos hommes politiques découle de leur ethos, de leur éducation et de la mentalité collective portée au relâchement du lien social et à la valorisation du régionalisme. La raison de l’intérêt à la politique comme moyen de s’enrichir réside aussi dans le fait qu’en Afrique, les possibilités d’embourgeoisement classiques sont limitées à un rôle anal ou vassal. De par notre histoire, nous avons été exclus du système du capitalisme international classique ; et par médiocrité, servilité ou manque d’initiative, nous n’avons pas su nous libérer de cette exclusion. Enfin, la représentation aliénée de l’État comme un legs étranger avec lequel nous avons un rapport superficiel et formel joue un rôle non-négligeable dans le mécanisme mental de la culture de corruption. Cette représentation collective de l’État fait le lit de l’impunité qui est la source même de la corruption parmi les hommes politiques africains.
Professeur Cossi Bio Ossè
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