Eh bien pour être plus précis, il conviendrait de dire qu’il s’agit de ponts dit supérieurs, et des échangeurs que de ponts simples. En effet on a toujours construit des ponts au Bénin, et des ponts de qualité et dont l’usage est moins de prestige que d’utilité fonctionnelle vitale (c’est-à-dire des ponts qui enjambent des étendues d’eau et sans lesquelles la connexion avec l’autre rive n’est pas possible.) Ici les ponts ou échangeurs qui sont construits ne sont pas à première vue d’une telle utilité vitale et fonctionnelle même s’ils participent du désengorgement de la circulation et faciliteront les transports. La côté aérien des ouvrages de la génération Yayi, par opposition à ce qui a précédé semble en quelque sorte vouloir illustrer le mot d’ordre d’émergence et de changement du nouveau régime. A partir du moment où ces ouvrages sont d’une génération nouvelle, ils sont censés connoter dans l’esprit du peuple à qui ils s’adressent en priorité, la nouveauté ; et qui dit nouveauté dit changement. Par ailleurs le fait que ces ponts soient aériens dans la métaphore politique de la propagande du régime, illustre à merveille l’idée d’émergence ; c’est comme si ces ponts s’élevaient désormais au-dessus du niveau qu’on leur a connu jusque-là. Et il n’est pas jusqu’à la racine du mot échangeur commune au mot changement qui ne participe à cette illustration rhétorique du changement voulu et orchestré par la propagande insidieuse du régime...
Mais alors cela soulève évidemment la question de la légèreté phénoménale et pour tout dire renversante avec laquelle on considère le mot émergence sous la houlette d’un homme qui pince sans rire se dit « Docteur en économie ». Savez-vous par exemple le nombre de ponts, de ponts aériens, de centaines de kilomètres de voies bitumées, de routes à sens unique, de highways, qu’il y a et dans combien de grandes villes du Nigeria et pas seulement Lagos ou Abuja ? Et pourtant, il ne vient à l’esprit d’aucun économiste du développement sérieux de considérer ce grand voisin producteur de pétrole comme un pays émergent ou candidat à l’émergence ! C’est dire qu’il faut plus que des ponts, des routes, des échangeurs, bref des infrastructures routières pour se prévaloir de l’émergence possible. L’infrastructure seule ne suffit pas à l’émergence, il faut aussi la structure : économique, sociale et politique. Au Bénin, à Cotonou on construit 2 ponts supérieurs (mais supérieur à quoi ? allez savoir !), on projette la construction d’un échangeur et voilà qu’on pousse des youyous de paysans hilares et que l’ont tient pour à portée de main l’état d’émergence. On estime pince sans rire qu’il s’agit d’une victoire dans la lutte prométhéenne pour l’émergence. Certes dans le contexte minuscule de notre pays, ces ponts supérieurs et ces échangeurs sont, il faut le dire une innovation heureuse. Innovation parce que c’est la première fois qu’est mis en service ce type d’ouvrage ; heureux parce que leur utilité, qui allie le fonctionnel au moderne va sans dire. Mais en même temps nous assistons à un véritable bluff politique et médiatique. Le pouvoir essaie de faire d’une pierre deux coups. Sous la houlette d’une poignée d’entreprises expatriée, on fait travailler une noria de sous-traitants locaux triés sur le volet politique. Et dans le même temps, d’une manière férocement espiègle, on prend les gens pour des cons, incapables de réfléchir, en les encourageant à présupposer l’équation fallacieuse selon laquelle « Deux ponts + un échangeur = émergence. » Ça ce n’est pas bon du tout de la part d’un gouvernement qui veut le progrès. Car comment peut-on vouloir le progrès en saisissant à chaque fois la moindre occasion de spéculer sur l’oligophrénie supposée des analphabètes et des petites gens qui sont la majorité du peuple ? Le pouvoir en encourageant cette approche de ses actions est au sommet de son parti-pris abêtissant de la démagogie facile. Il s’agit d’une véritable opération à dormir debout, une volonté d’entourlouper le peuple, le temps d’obtenir une adhésion politique qui n’est qu’un chèque en blanc. La réalité est loin de cette culture de la poudre aux yeux, que l’on croyait révolue ; elle est loin de ce parti pris de la manipulation tous azimuts qui exploite et renforce la naïveté des simples gens. Le pouvoir de Monsieur Yayi Boni a percé grâce à la manipulation des attentes du Peuple, maintenant elle installe le peuple sous la tente de la manipulation. La manipulation inaugurale qui aurait dû laisser place à la vérité, les yeux dans les yeux, continue sur sa même lancée en abaissant sans répit par son parti-pris roublard le degré de lucidité du peuple. Or un peuple sans lucidité ne peut pas émerger. Ce sont les peuples et leur structures (symbolique, éthique, sociale, et économique) qui émergent en premier lieu, pas les ponts, fussent-ils supérieurs ni les échangeurs ou les infrastructures fussent-elles de la nouvelle génération !
Les ponts supérieurs et autres échangeurs ont beau par leur position aérienne, ou leur étymologie suggérer l’idée de changement ou d’émergence, il s’en faut de beaucoup pour que le pays émerge. Il faut que l’esprit du peuple émerge des ornières insalubres de la manipulation devenue la tasse de thé de l’actuel gouvernement. Nous ne disons pas cela parce que nous serions de ceux qui ne souhaitent pas que notre pays émerge afin que le crédit en soit porté à l’actif d’un gouvernement qui par ailleurs fait preuve de courage et d’actions louables. Non, nous disons cela parce que, immunisé contre les manigances manipulatrices de la politique, nous avons la lucidité de voir que cette manière de faire ne conduira pas notre pays à bon port et révélera bientôt sa faillite et ses limites. Nous avons la lucidité de voir que comme toujours une minorité d’une génération avec un discours de circonstance trompera l’écrasante majorité qui lui aura fait confiance et rejoindra comme d’autres le somptueux paradis des biens mal acquis et de l’impunité alors que le peuple sera comme toujours abandonné dans l’enfer de la misère, et du sous-développement !
Les infrastructures c’est bon, personne ne le conteste mais les structures c’est encore mieux. La vérité c’est que le peuple a faim ; la vie chère sévit ; les maladies aussi ; l’analphabétisme, etc. Seul le noyau central des politiciens au pouvoir et leurs alliés commerciaux parviennent à tirer leur épingle du jeu. Essentiellement rien n’a changé dans la condition du peuple depuis bien des décennies. Et c’est dans ce domaine de la vie des gens qu’il urge de construire des ponts. Le peuple a besoin de ponts structurels, des échangeurs symboliques, des routes sociales qui mènent vers son ventre. Il n’a pas besoin que des nostalgiques de travers éculés reprennent les méthodes d’antan travesties sous des noms de rêve sans lendemain.
Le pouvoir a ses raisons de penser qu’il n’a pas d’autres soutiens que le peuple et que tout ce qui est bon pour captiver son intérêt doit être fait. Mais un tel soutien ne devrait pas s’acquérir par l’acharnement manipulateur. La politique ne doit pas s’enfermer dans la manipulation, même si c’est pour le bien du peuple. On ne doit pas utiliser l’argent du peuple pour endormir le peuple et, aussi bonnes ou utiles soient-elles, les actions du gouvernement ne doivent pas être des prétextes à faire de la publicité pour son propre compte. Elles doivent s’en détacher clairement. Ce qui n’est pas le cas avec le gouvernement de Monsieur Yayi Boni !
Quelle défaite de l’entendement ! Les gens ont faim et vous vous glorifiez de leur fournir des ponts supérieurs, parce que c’est la meilleure façon de faire votre publicité. Certes le pays est plus beau avec les ponts mais le ventre reste vide ; les hôpitaux en lambeaux, les écoles vides. Certes on se doute que les ponts, les routes sont nécessaires au progrès ; mais pourquoi le dévolu jeté sur les infrastructures est la seule pédagogie rentable de la propagande du régime ? Pourquoi ne s’honore-t-on pas tout autant et plus souvent d’inaugurer des raffineries de sucre ou de pétrole, des fermes, des industries de transformation, des factoreries, etc. ? Toutes choses qui mettraient réellement le vrai peuple au travail et pas seulement une poignée de firmes expatriées et une noria de sous-traitants politiquement complices ?
Prof. Cossi Bio Ossè
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