Pourquoi les Béninois Votent-ils Volontiers pour un Président Médiatiquement Discret ou Inconnu ?
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La question ne manque pas de sens au regard des différents challenges présidentiels qui se sont succédés depuis le début du Renouveau démocratique. Bien sûr, l’élection de Soglo en 1991 correspondait à une continuité médiatique et politique. Soglo était le premier ministre de la transition à une époque où le discours ambiant était technocratique. Deux données complémentaires renforcent et constituent ce discours, érigé en dogme. Il y a d’une part l’aspect purement politique incarné par le discours de la Baule qui liait le soutien de la France, ancienne puissance coloniale et, au-delà, de l’Europe à l’avancement de la démocratie en Afrique ; et d’autre part, il y a l’exigence de bonne gestion économique provenant des institutions bancaires et financières internationales telles que la Banque Mondiale, le FMI. Pour être dans les bonnes grâces des uns et des autres, on vit émerger de-ci de-là une nouvelle élite africaine constituée de gestionnaires financiers éduqués dans les universités occidentales et qui étaient prêts à "gérer" leur pays selon les règles que les multinationales financières édictent. Ces "technocrates" africains blanchis sous le harnais des organisations financières, servirent d’intermédiaires entre le système politique des partis uniques, dont la gestion patrimoniale de l’économie a conduit à la banqueroute et les Organisations financières internationales appelées au secours. Comme premiers ministres ou ministres de l’économie, c’est sous leur égide qu’allaient être administrés les remèdes souvent politiquement impopulaires et antisociaux préconisés par la Banque Mondiale et le FMI. On se souvient au Bénin du PAS, le plan d’ajustement structurel.
Soglo au Bénin fut l’homme de ce programme qui, quoique difficile, permit de renflouer le navire Béninois qui avait sombré, et de redonner vie à l’économie nationale. Donc d’un point de vue médiatique, on peut dire que Soglo n’était pas un homme de l’ombre ; au contraire, il était sous les feux de la rampe, et son élection en 1991, était dans la continuité de l’œuvre qu’il avait ébauchée en tant que premier ministre de transition.
Ensuite il y eut l’élection présidentielle de 1996. A ce moment-là, Soglo, en tant que Président en exercice, était toujours médiati-quement exposé. Mais politiquement, il y avait le passif social de son action économique, ce point aveugle du libéralisme qui est une pomme de discorde idéologique entre l’apolitisme dogmatique des tenants des institutions financières internationales et l’interventionnisme social ou national des hommes politiques. Ce handicap social de la politique prométhéenne de Soglo a généré des frustrations en même temps qu’elle a ravivé une certaine nostalgie du passé socialiste caractérisée par la politique du tout-état. Tout ceci, dans une atmosphère de cabale typiquement béninoise, a bénéficié au retour de Kérékou, perçu comme meilleur protecteur social, du moins présenté comme tel. Mais si la réception médiatique de Kérékou a été possible, c’est surtout parce que pendant tout le quinquennat de Soglo, Kérékou s’est fait oublier. Il n’était pas apparu tout le long du règne de Soglo comme le challenger autoproclamé, sur la ligne de départ dès le premier jour. Il avait accepté et vécu durement le principe d’une traversée du désert, il était devenu un homme de l’ombre, et l’image qu’il avait était plus proche de celui d’un moine retiré que d’un Chef de parti. Du coup, cette solitude lui avait conféré une onction magique ; il ne s’était pas rabaissé à hanter l’espace politique de ses propositions et de sa position d’opposant. Et lorsque ceux qui se firent gloire de parrainer sa résurrection le présentèrent au peuple comme candidat dans les derniers mois précédant l’élection, c’est tout naturellement que le Peuple suc-comba à son charme. Parce l’ombre dans lequel il s’était placé, la traversée du désert librement consenti accréditaient l’idée d’un nouvel homme, sans parler de la nostalgie qu’il incarnait.
Yayi Boni qui était prépositionné bien plus tôt qu’on ne peut le soupçonner avait bien étudié et intégré l’utilité de cette discrétion médiatique du futur candidat à l’élection présidentielle. C’est pour cela qu’il se planqua dans les contreforts des coffres-forts de la BOAD. Cet observatoire doré lui permettait de cumuler à la fois l’image de l’homme institutionnel qui plus d’une fois avait déjà fait mouche auprès de l’électorat béninois (Basile Adjou Moumouni, Nicéphore Soglo, etc.) mais aussi l’image de celui qui était crédible en termes de crédit et de financement de sa politique. Image qui est en rapport avec le choix de la symbolique ambiguë de cauris comme emblème dans la mesure où – défaut professionnel ou tare culturelle – elle avait tendance à confondre richesse avec argent, ce qui pour un homme politique parlant de changement est une erreur éthique terriblement navrante. Donc c’est pour bénéficier de cette discrétion que Yayi Boni, jusqu’à son élection en mars 2006 n’est pas du tout apparu dans le paysage politique béninois. Il refusa même un poste de ministre. Cette non apparition dans le paysage politique ne répond pas seulement au sacro-saint principe de discrétion intériorisé par le futur leader du changement mais il permet d’accréditer l’image de l’homme neuf. La nouveauté étant ici une forme spécifique du principe de discrétion, très en phase alors avec le discours du changement nécessité par les graves erreurs de gouvernance qui ont marqué le régime précédent.
A contrario, des hommes comme Soglo jusqu’en 1996, et Houngbédji depuis le début du renouveau jusqu’en 2006 n’ont cessé de jouer le rôle médiatique de l’opposant et de se déclarer comme candidat évident de leur camp pour la prochaine élection présidentielle. Ainsi pendant cinq ans et de législature en législature, ils étaient au devant de la scène médiatique et politique. Ce positionnement sous d’autres cieux médiatiques paraît normal et ne nuit pas aux candidats. En France par exemple, les candidats réservent l’annonce de leur candidature, mais ceci n’est qu’une formalité, car on savait qu’un Chirac ou un Mitterrand allaient se présenter ; et lorsqu’un candidat apparaissait comme une génération spontanée, comme ce fut le cas d’Edouard Balladur en 1995, il pouvait faire illusion quelque temps mais finissait pas disparaître au profit de l’homme de toujours, celui qui n’était pas dans l’ombre, et qui était connu de tous comme le candidat naturel de son parti.
Actuellement Maître Adrien Houngbédji qui vit son échec de 2006 à la fois comme une injustice fatale et une malchance – à laquelle ses choix ne sont pas étrangers – se fait depuis lors plus discret. C’est un homme qui n’a pas encore abandonné tout espoir de convaincre les Béninois qu’il est l’homme qu’il faut pour les conduire à bon port et hisser notre pays à un niveau humain, économique et moral respectable ; c’est aussi un homme doté d’une forte capacité d’intériorité et qui apprend beaucoup, médite et compare les données de ses échecs. Pour autant la posture de discrétion qu’il adopte depuis 2006 le rendra-t-il électoralement désirable en 2011 ?
D’une certaine manière ce charme de la discrétion, cette magie de l’ombre qui a opéré en faveur du retour de Kérékou dans le jeu démocratique, et du deux ex machina Yayi Boni en 2006 peut s’expliquer psychologiquement. En effet se faire rare, c’est se faire désirer et cela ajoute une touche de sérieux à votre discours, comme marqué au coin de la consistance et de la maturité. Alors que s’afficher dans l’espace médiatique, se donner en candidat naturel cinq années durant finit par produire un effet de lassitude et du déjà vu.
Ce qui est sûr en considérant les conditions d’opération du charme de ceux qui ont eu la chance de faire jouer cette discrétion, c'est que la discrétion est une condition prisée par l’électorat béninois. Mais si elle est nécessaire elle n'est certainement pas suffisante.
Professeur Cossi Bio Ossè
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