Pourquoi le Chef de l'Etat Joue-t-il les Distributeurs Automatiques de Billets ?
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Incapable de manœuvrer la classe politique à sa guise et de s’inscrire en toute transparence dans le fonctionnement du jeu démocratique ; expérimentant aussi les limites du dévolu qu’il a jeté sur l’instrumentalisation tous azimuts des institutions de la République : Armée, Cour Constitutionnelle, Cour Suprême, Conseil économique et social, Yayi Boni ne s’avoue pas pour autant vaincu. Puisque sa méthode de gouvernement, marquée par le caractère suborneur d’une gouvernance faussement concertée ainsi que les effets pervers de son obsession d’être réélu en 2011 ont conduit au blocage, qu’à cela ne tienne ! Le président Yayi Boni se dédie au programme politique le plus cher à son cœur et qui surdétermine ses actions : occuper le temps de l’impasse, gesticuler au maximum pour donner l’impression qu’il se passe quelque chose dans ce pays, qu’il remue quelque chose, même si ce remue-ménage est à mille lieues des actions réelles de développement. En effet sans être inutiles, et même si les fausses justifications qu’on lui prête devaient s’avérer contenir quelque élément de vérité, le rapport direct entre le développement de notre pays et le prurit de générosité pécuniaire qui étreint le chef de l’Etat depuis quelque jours est sujet à caution. Des Togolais sinistrés au Chefferies traditionnels en passant par les religieux de tout poil, cet élan soudain de saupoudrage de millions sur diverses catégories sociales ou instances a au moins un double usage. Il permet d’occuper le terrain en jouant les Pères Noel avant l’heure. Conformément à l’éthique de la culture cauris que l’ancien banquier à réintroduite sans états d’âme dans nos mœurs déjà en perdition, il s’agit de kidnapper moralement le Béninois moyens – pauvres rois qui s’entredéchirent pour monnayer leur capital politique imaginaire ; religieux pour qui dieu est d’abord une affaire de sou et dont la multiplication des sectes, des chapelles des obédiences et des boutiques fait courir au tissu national un risque d’atomisation spirituelle pour le moins préoccupant, – en lui montrant de quel côté se trouve le bonheur ; de quel côté se trouve des chances de gain ; en lui montrant ce qu’il doit faire s’il veut en gagner plus.
Assurément cette gesticulation a vocation à dénier point par point l’impasse dans laquelle se trouve le Président de la République. Comme c’est toujours le cas, les observateurs avisés ou même la propagande officielle peuvent essayer de nous en donner le mode d’emploi. Ainsi, l’échec de la formation d’un gouvernement élargi peut justifier qu’il soit fait appel aux religieux et aux chefs traditionnels. Mais en réalité rien n’est plus douteux. Soit dit en passant, comme dans toutes les initiatives précipitées du Chef de l’Etat – Et Dieu sait qu’elles sont légions depuis mas 2006 ! – cette mise en scène des rois et autre chefs traditionnels est une véritable boîte de pandore. Certes, politiquement elle peut constituer un clin d’œil fallacieux à peine voilé à certains partis ou associations radicaux aux influences non-négligeables et qui dans une vision rétrograde et irréaliste de la société, de l’histoire et du devenir des peuples, font de la prise de pouvoir de ces « rois et chefs » c’est-à-dire in fine d’une certaine forme de régression historique et politique leur mot d’ordre. Mais au-delà de ce débat idéologique, c’est cette manière de vouloir tout régler par l’argent, tout pourrir par l’argent qui est en cause. Car bien souvent c’est le chef de l’Etat lui-même qui est souvent appelé à régler les différends qui opposent ces rois ou ces chefs entre eux. Or la raison d’être de ces différends provient des intérêts ou des fantasmes d’intérêts matériels que la royauté traditionnelle concentre autour d’elle, surtout si cette économie politique devait être régie uniquement par le seul principe charismatique sur lequel repose l’autorité de ces personnages. En agitant le chiffon rouge de l’argent devant ces rois, en ramenant leur existence à l’argent, au lieu de les conforter dans leur rôle naturel et social de médiateur éthique, le chef de l’Etat ouvre la boîte de pandore de la division des conflits fratricides sur fond de cupidité érigée en principe de mystification. L’appréhension soulevée ici ainsi que le raisonnement qui l’étaye valent mutatis mutandis pour les divers groupes religieux. Pourquoi vouloir tout ramener au fric, pourquoi tout pourrir par l’argent ? Cette logique pécuniaire est vraiment diabolique et indigne d’un régime qui voulait changer les choses en bien, à commencer par les mentalités et les mœurs. De ce point de vue, le rapport du pouvoir aux rois et aux religieux n’est pas saint/sain et constitue une source de désordre moral et de détérioration des racines éthiques de la conscience collective.
Mais cette conclusion négative, dont la prémisse est l’explication naïve du geste du Président par le citoyen moyen est loin d’être satisfaisante. Cette fausseté est celle de la prémisse. Pour y voir clair, il convient d’être simple et logique d’entrée. Certes Yayi Boni découvre l’utilité des Roi et des religieux à qui sans états d’âme, il distribue dans une joyeuse inconstitutionnalité des millions à tout va, parce qu’il est dans l’impasse politique. Mais il n’est pas pertinent ni logique de suggérer que le geste du président vise à restaurer le climat de paix, et à l’aider à faire le pont avec les partis politiques qui le défient. Parce qu’au moment ou ces partis réclament à cor et à cris la reconnaissance constitutionnelle de leur rôle qui leur est cyniquement déniée par le gouvernement, la tentative de leur substituer une cohorte bigarrée de religieux et de chefs traditionnelle n’est pas de nature à les apaiser. Au contraire elle peut susciter leur réprobation ou leur mépris de voir le gouvernement s’enliser dans ce qui à leurs yeux n’est qu’une régression inconstitutionnelle et une fuite en avant. Et encore une fois, d’une certaine manière, le Chef de l'Etat aura contribué à faire de ces partis en eux-mêmes suspects quant à leur réel attachement au bien-être du peuple, les défenseurs crédibles des valeurs démocratiques et en l’occurrence de la rationalité légale.
Non, l’analyse qui rend raison du sens profond du geste du président, du prurit de générosité qui l’étreint ces jours-ci est à la fois simple et logique. Elle a quelques points communs avec l’explication naïve du citoyen moyen ou l’analyse de l’observateur avisé. Mais en même temps elle s’en écarte. D’abord on ne peut pas mettre de côté le don fait au Togolais par le Président de la République et celui qu’il fait aux religieux et aux rois béninois. Ils sont tous liés : chronologiquement et logiquement. Or l’analyse qui consiste à dire que c’est le souci d’en appeler à la sagesse des religieux et des rois pour apaiser le climat politique qui conduit le chef de l’état à dilapider des millions de-ci de-là ne fait aucune place aux Togolais. Est-ce que les Togolais viendraient nous aider à régler nos problèmes politiques au Bénin ? Non, rien n’est moins sûr, dans la mesure où, à l’instar des inondations qui frappent les deux pays, eux-mêmes baignent depuis des années dans d’inextricables problèmes politiques qui peinent à trouver de justes solutions. En fait dans son obsession de réélection en 2011 Yayi Boni a peur de ne plus compter sur le jeu démocratique normal. Du fait que les alliances politiques classiques paraissent sujettes à caution sinon hautement problématiques. Et au fur et à mesure que le rêve d’une alliance du style wologuèdè qui l’avait porté de façon inattendue au pouvoir paraît s’inscrire dans un passé révolu, Yayi Boni qui n’est pas un révérend démocratique, tel un joueur fou qui a claqué tous ses sous au casino, essaie de miser sur de la fausse monnaie. Incapable de faire jouer le jeu démocratique en sa faveur, le Président trace la marche alternative de sa volonté obsessionnelle de réélection. Il invente un nouveau monde politique. Ce nouveau monde, complètement à la marge de la réalité constitutionnelle et de la rationalité légale, sort tout droit de ses fantasmes autocratiques et populistes. A travers les rois et les religieux, il est en train de mettre en place et au frais du contribuable, sous prétexte de forum ou d’aides financières au demeurant non budgétées un univers fantasmatique de contrôle social et politique basé sur un clientélisme systématique et systémique. Il ne s’agit même pas d’une politique sociale réfléchie en dépit des risques de désordre et de confusion entre des sphères qui constitutionnellement devraient être séparées. Car par exemple, si on voulait vraiment encourager les actions des religieux et les rois – pour autant qu’elles soient positives – pourquoi ne pas voter de façon consensuelle la création d’un fonds auquel ceux-ci émargeraient en fonction des contributions sociales concrètes dont ils pourraient se prévaloir ?
Au lieu de quoi on claque les millions et ce ostensiblement dans le seul but d’en claquer afin de conditionner les esprits, de les chavirer, de les faire saliver, et de se concilier la complicité électorale de ces médiateurs politiques naturels. Au système démocratique normal avec ses partis libres et ses débats d’idées, son jeu de pouvoir et de contre-pouvoir, le président essaie de substituer une morphologie duale alternative, en grande partie illégale et fantasmagorique.
Et quid du Togo, des sinistrés togolais ? Eh bien sans doute pour préparer les esprits à la grande campagne de recrutement d’électeurs fictifs qui régulièrement lors de nos élections nous viennent de là-bas. Et ces militaires béninois en procession pour convoyer le pactole de l’autre côté du mono ? Parce que désormais la logistique électorale sous l’ère Yayi est militairement encadrée. On peut certes penser que c’est une façon pour ceux qui en étaient directement responsables de montrer leur gratitude envers le Togo pour avoir mis ses urnes à notre disposition ; mais rien n’empêche non plus de penser que ce mélange des genres dans le domaine intimement national des élections est aussi une manière de profanation délibérée de cette intimité, de simulation militaire et de préparation psychologique à la fraude électorale à venir.
Au total, ayant perdu ses amis des premiers jours, Yayi Boni essaie de s’en faire de nouveaux. L’amitié en question ici est celle qui a une utilité politique immédiate. Certes le fait que le président se mette brutalement à distribuer des millions de-ci de-là et à tort et à travers comme un distibuteur automatique de billets détraqué n’est pas seulement la résurgence compulsive d’une seconde nature d’ex-banquier. En vérité c’est que la perte de ses amis est, pour le président, génératrice d’angoisse et de peur : angoisse de solitude, et peur de ne pas être réélu. Ce type d’angoisse rend fou. Fou d’aimer, fou d’être aimé. Une folie qui n’a que faire de la démocratie ; au mépris de ses règles, de ses valeurs, et de sa culture, elle peut porter à fomenter des intrigues alternatives, à inventer de toute pièce un nouveau monde d’amis. Et peu importe que ce monde soit peuplé de Togolais sinistrés, de rois putatifs ou de religieux loufoques ; peu importe même que ce monde soit réel : l’important est qu’il permette de fantasmer de son utilité en attendant les jours meilleurs.
Binason Avèkes
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