Pourquoi Choisir Quelque chose d’aussi peu Spirituel qu’un Aéroport pour Honorer la Mémoire d’un Cardinal ?
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A propos de la nouvelle désignation annoncée de l’aéroport de Cotonou, tu me dis que tu es si écœuré par l’absurdité d’une telle initiative que tu envisages, à défaut de ne plus mettre les pieds au Bénin, de ne jamais plus atterrir à cet aéroport aussi longtemps qu’il portera ce nom qui suinte d’une bêtise cardinale et autoritaire. A l’appui de ta décision sur laquelle je compte bien te faire revenir, tu demandes « Fallait-il baptiser du nom d'un prêtre catholique, du fait de son "œuvre ?, quelle œuvre?" fut-il l'arbre de fer, le seul aéroport d'un pays laïc ? »
A propos de l’œuvre du saint-homme, il est vrai que dans une démarche positive, j’ai essayé moi-même en toute objectivité d’aller à sa découverte. Je voulais pour justifier le grand drame de sa disparition et le désir national de fixer sa mémoire, énumérer une demi-douzaine de choses tangibles qu’il a faites et que l’ont peut désigner du doigt aux générations futures. Et le moins que je puisse dire est que, en dehors du chœur de louanges de ceux qui l’ont connu, aimé, pratiqué et approché, maigre est la moisson de ces choses non falsifiables à la recherche desquelles je m’étais lancé en toute bonne foi. Tu sais, il paraît que 99% des critiques de Karl Marx n’ont pas lu 1% de ses œuvres. Je ne voulais pas être de ceux qui se permettent de critiquer la tangibilité des œuvres d’un homme aussi éminent sans les avoir tâtées. Or, jusqu’à présent, ma recherche positive est sans fruit palpable ; provisoirement du moins, je l’espère, jusqu’à ce que, ceux qui parlent de sa vie à l’envi et encensent le saint-homme tout en omettant de désigner ses œuvres, en viennent à descendre du ciel éthéré du sentiment pour atterrir sur le sol ferme de la réalité.
Mais si j’ai pu bien comprendre le contenu de ta lettre et l’objet effectif de ta rogne, ce n’est pas seulement le caractère sentimental des œuvres prêtées au Cardinal béninois par les ténors de la pensée religieuse et politique unique, cette vague référence à ses qualités qui est en jeu. En des termes assez durs, tu t’en prends directement au pouvoir en place pour son culte de l’émotion et le caractère instantanéiste de sa gouvernance. En ce qui concerne la nouvelle désignation de l’Aéroport de Cadjèhoun, ta critique, s’appuie aussi bien sur le fond que sur la forme de la décision.
Sur le fond, dis-tu, un aéroport est une infrastructure de transport public, national et international ; il a une fonction et un rôle stratégiques sur les plans aussi bien économique, militaire qu’humain. Dans ces conditions, faute d’être un homme politique, un militaire ayant contribué à la défense du pays, ou un homme d’affaire illustre, on ne voit pas le rapport entre un aéroport et un prêtre catholique. L’autre raison est formelle et touche à la méthode de procédure. Tu trouves étrange qu’on n’ait même pas laissé le corps du saint-homme se refroidir avant de commencer à commémorer sa mémoire. Cette précipitation du gouvernement a, dis-tu, quelque chose de proprement malsain, et manque de vergogne. Selon toi, elle vise soit à caresser dans le sens du poil l’émotion des cathos, des amis du cardinal et du Peuple en général ; soit à prendre au piège tous ceux qui pour des raisons de vice de forme et de fond oseraient la critiquer en prenant le risque impertinent d’apparaître comme des empêcheurs de communier en rond dans la douleur de la disparition d’un homme aux qualités morales et humaines avérées. Par ailleurs, dans un pays laïc multiconfessionnel, tu estimes que c’est se moquer des autres confessions et des Béninois en général – chrétiens ou non – que de ne pas aborder la question de la désignation de l’Aéroport International de Cotonou du nom de l’illustre Cardinal de façon moins autoritaire, par une démarche plus interactive, plus sereine et nationalement concertée. Bref de donner du temps au temps de la commémoration, et d’en laisser avant tout à celui de la déploration.
Je crois que tu as bien raison sur le fond. Pour ce qui est d’énumérer deux ou trois choses que le Cardinal a faites et qui méritent d’être portées à la connaissance de la postérité, pour autant qu’on veuille raisonner positivement on risque d’attendre fort longtemps. De ce point de vue, un personnage Comme Samuel Biléou Oshoffa a une signature positive plus palpable, dans notre société, notre pays, notre sous-région, et dans le monde dans la mesure où le Christianisme céleste dont il est le fondateur est une synthèse vivante du Christianisme classique et de nos pratiques autochtones qui a la vertu d’entrer en résonance avec l’âme de nos peuples. Mais lui n’a pas droit à un aéroport : il n’a pas été nommé par les Blancs. D’un génial artiste comme Adjahoui, on pourrait aussi énumérer les éléments de positivité dignes d’être transmis à la postérité, et qui justifieraient une certaine attention commémorative.
Dès lors, vois-tu, la question prend une tournure symbolique et sociologique. Le Cardinal Gantin, cet illustrissime prélat, est le premier Cardinal Africain, et il est Béninois ; cette prouesse extraordinaire suffit déjà à honorer sa mémoire de la manière dont on le fait. Il s’agit là d’un symbole de l’aliénation intime qui enserre notre histoire, notre destin de Peuples Noirs Africains. Peuples avant-hier esclavagisés par les Blancs, hier colonisés par les mêmes Blancs et aujourd’hui tenus en laisse et en respect par les mêmes maîtres Blancs soit par le canal symbolique de la religion et de la langue, soit par celui de la politique ou celui de l’économie. Et comme la violence symbolique est une violence qui s’administre avec l’assistance et le consentement tacite de la victime, c’est une certaine classe sociale qui, au nom de ses intérêts mesquins, au nom de l’idée qu’elle se fait de sa sensibilité, et de ses sentiments, au nom de ses rêves et de son idéal, au nom de son bon vouloir et de son bon plaisir, de son habitus aussi, prend les devants et organise la mise en scène de notre aliénation. Car, mon cher Pancrace, qui saurait sérieusement dénier des qualités à un homme qui a été tour à tour étudiant en théologie, prêtre, évêque, archevêque puis Cardinal ? Mais la vraie raison est que l’honneur du Noir et plus particulièrement du Noir Africain, sa valeur intrinsèque et ultime, comme son cadre de vision du monde ne lui viennent et ne sont jamais censés lui venir de lui-même : non, il faut qu’ils lui viennent de l’extérieur, du Blanc : écrivains, scientifiques, artistes, religieux., politiques, etc. ne s’estiment véritablement tels qu’après avoir reçu l’onction du Blanc ; onction que le Béninois, toujours travaillé par le complexe du quartier latin, recherche avec plus de frénésie, de passion et d’ingéniosité que ses congénères africains. Forme sublime et subtile du mépris de soi, sous-tendu par un tropisme mental historiquement déterminé. Complétant la dimension symbolique, dans le dévolu jeté par le Pouvoir sur quelque chose d’aussi peu spirituel qu’un Aéroport pour honorer la mémoire d’un Cardinal, il y a aussi l’aspect sociologique qui, quoique cocasse par certains côtés, ne laisse pas d’être pertinent. L’Aéroport de Cotonou, aussi modeste soit-il à l’échelle des infrastructures du genre de par le monde, est le lieu où s’ébroue une certaine classe sociale subtilement extravertie et fière de l’être : jet set de la politique et du petit monde des affaires, corrompus et corrupteurs, détourneurs impénitents de deniers publics, lieu-miroir d’une liberté d’aller et venir, de se mouvoir dans le ballet aliéné du recours au maître de toujours, ou de réduire la distance angoissante qui sépare le terroir des paradis fiscaux ou d’un Occident rassurant où dorment en paix fortunes et biens mal acquis. A qui s’adresse-t-on lorsqu’on désigne un tel lieu du nom d’un Cardinal ? Certainement pas à ceux que Thomas Sankara appelait le pays réel, l’extraordinaire majorité du peuple que constituent les paysans, les ruraux, les, artisans, les ouvriers et autres employés des villes qui n’ont jamais vu l’avion que du ciel et n’auront de leur petite vie précaire jamais l’occasion de le prendre. Non, sociologiquement, il s’agit d’une opération d’autocélébration des fantasmes mesquins d’une classe socialement fermée sur elle-même et d’une génération bien comprise de Béninois.
Mon cher Pancrace, comme toujours, ce que j’admire dans ton analyse, c’est ta conscience de la nuance, et ton approche réaliste de la politique. Ainsi, tu te demandes si, dans la mesure où c’est à eux que nous devons la construction de l’Aéroport de Cotonou, cette bizarre décision ne traduit pas la volonté de nos maîtres de toujours de saisir cette occasion pour tester la tension de la laisse dans laquelle ils nous tiennent résolument. La chose est possible, dans la mesure où, dans le meilleur des cas, le parti-pris de l’indépendance et de la liberté radicale n’est pas ce qui étouffe la classe dirigeante de nos pays, plus particulièrement francophones. Et puis, il y a l’autre hypothèse que tu soulèves, et qui n’est pas moins pertinente, à savoir l’éventualité que le gouvernement ait pu être acculé à une lutte contre la montre pour ne pas laisser le cas échéant cette désignation de l’Aéroport bénéficier à un ancien Président de la République, militaire de surcroît, qui a eu au cours de son règne à combattre autour de ce site stratégique contre l’envahissement de notre pays par des forces coalisées du néocolonialisme.
Et puisqu’on parle de mercenaires, de guerres ou de catastrophes, mon cher Pancrace, rien ne souligne autant l’absurdité de cette décision bizarre que l’hypothèse que tu évoques d’une attaque de l’Aéroport par des soldats, des terroristes ou une armée ennemie. Même l’exemple d’une simple catastrophe aérienne, comme il s’en est déjà malheureusement produit sur nos côtes est assez parlant. Dans l’un ou l’autre des cas, le nom d’un prélat pacifique et humaniste serait associé à des actes de violence ou à des accidents entraînant la mort d’hommes, de femmes et d’enfants. Evidemment, on aurait voulu flétrir la mémoire du Cardinal qu’on ne s’y serait pas pris autrement.
Assurément, il y a un moment pour pleurer nos morts, et un moment pour commémorer leur disparition. Il s’agit-là de deux choses distinctes. Mon cher Pancrace, je suis tout à fait de ton avis pour condamner la précipitation et l’incongruité de la décision du Gouvernement de Yayi Boni de désigner désormais l’Aéroport de Cadjèhoun par « Aéroport Bernardin Cardinal Gantin ». Et ce n’est pas en mettant en sandwich le titre de Cardinal à l’intérieur du Prénom Bernardin que ça y changerait quelque chose. En revanche là où je ne te suis pas c’est lorsque que pour cette raison, tu envisages de boycotter le Bénin ou à tout le moins l’Aéroport ainsi désigné ! Es-tu sérieux ? Bien sûr pour exorciser le ridicule de ta décision, tu prends la précaution de dire qu’elle n’engage que toi, et que tu es bien conscient de l’insignifiance de ta petite personne. Une goutte d’eau, etc. Il s’agit dis-tu d’un acte symbolique d’une personne isolée en réponse à l’acte symbolique d’une classe tout aussi isolée. Mais cette classe a beau être isolée au regard de la grande masse des Béninois qui dans le fond ne se reconnaissent pas dans une décision aussi absurde et incongrue, il s’agit de la classe dirigeante du pays. Certes, le caractère précipité et régalien de la décision n’est pas conforme à l’esprit d’une démocratie qui se veut concertée. De plus elle heurte le bon sens, lorsqu’on la considère en toute sérénité, loin de l’ébullition émotionnelle du moment ou des intrigues politiciennes qui la sous-tendent. Dans ces conditions, je ne vois pas d’autre attitude que d’y opposer un mépris symbolique ou une réaction politique appropriée. Une telle réaction consiste à s’adresser à la conscience des milliers de citoyens qui ne se reconnaissent pas dans cette décision, qui sont heurtés par son incongruité et son caractère précipité, mais qui n’osent dire tout haut ce qu’ils pensent tout bas, en raison du primat du religieux qui domine la vie sociale chez nous, du respect qu’on doit aux Morts, et surtout de la peur de prendre le risque de l’impertinence, comme si contester la décision serait mettre en doute l’éminence du Cardinal.
Personnellement je déteste venir au Bénin par des chemins de travers. J’aime atterrir en direct à Cotonou quand je veux venir au pays. Donc même si je suis contre la nouvelle dénomination de l’Aéroport, je prendrai sur moi ma consternation et mon indignation. Le Cardinal Gantin, homme de Dieu, pacifique et discret n’y est pour rien. Ce sont nos dieux autoproclamés qui sont tombés sur la tête. Dès lors, pourquoi ne pas étudier la possibilité de lancer une pétition ? Voilà un acte politique à la fois concret et démocratique.
Réfléchis-y cher ami, et sursois à ta décision de boycotter le pays ou l’aéroport de Cotonou. Car, ce n’est pas à toi de porter la croix de la passion des autres.
Amicalement,
Binason Avèkes...
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