Béhanzin rappelons-le, a combattu avec énergie les troupes françaises, lorsque celles-ci voulurent « accaparer la terre de [ses] ancêtres » ; c’était pendant la campagne de 1892. Après la défaite militaire, il avait incendié le palais d’Abomey afin qu’il ne tombât pas aux mains impies de l’ennemi ; puis il mena une longue lutte politique dans la clandestinité avant de se rendre fin novembre 1893, lorsque les Français adoubèrent Agoliagbo. Béhanzin fut alors exilé en Martinique, où il séjournera 12 années durant avant d’être transféré à Blida où il meurt en 1906, quelques mois après son arrivée.
La suite d’exil du roi Béhanzin est bien connue, et constitue à elle seule un sujet d’étude en anthropologie politique : dans la manière dont elle a été composée, et l’image qui en ressort ainsi que les usages qui en ont été fait par les différentes parties prenantes. Béhanzin était accompagné de quatre de ses épouses, de trois de ses filles (Mèkougnon, Agbokpannon et Kpotassi) du jeune Ouanilo, du prince Adandéjan et de son épouse, ainsi que d’un interprète.
Béhanzin en se rendant, et en partant du Dahomey ne pensait pas partir en exil mais plutôt à la rencontre du « Roi de France » avec qui il allait pouvoir parler d’homme à homme, de souverain à souverain, sans intermédiaire. Dans cet état d’esprit, Adandéjan peut apparaître comme incarnant la fonction de Premier Ministre et d’homme lige. Mais vu sous cet angle et même si on doit tenir compte des contraintes logistiques et matérielles, force est de constater que l’ambassade de Béhanzin est par trop réduite, et la dimension diplomatique de sa suite éclipsée par son poids familial. Dès lors le motif de la présence du Prince Adandéjan dans cette suite ne s’épuise pas dans la fonction apparente qu’elle endosse mais peut se comprendre bien autrement. Il est certes dans la force des liens d’amitié qui unissaient les deux hommes ; et Béhanzin l’a fortement manifesté, qui a souffert dans son corps et dans son âme la mort du Prince après quelques années d’exil en Martinique, souffrance dont le roi n’a pu se remettre tout à fait. Cette mort était d’autant plus cruelle que Béhanzin s’était déjà auparavant interposé entre elle et le Prince. En effet, Adandéjan avait failli payer de sa vie sa droiture et son soutien à Béhanzin, au moment où en 1893, au plus fort des intrigues françaises pour le capturer, ceux qui au sein même de sa famille, étaient insensibles aux sirènes du vainqueur pouvaient se compter sur les doigts d’une main.
Un fait reporté par le Commissaire Colonial François Michel dans son journal éclaire d’un jour nouveau la présence du Prince Adandéjan dans la suite d’exil du Roi Béhanzin. Ce fait qui n’est qu’un incident banal prend pourtant une haute valeur politique et pourrait constituer la cause immédiate de cet exil partagé. L’incident eut lieu le jour de la signature du traité que Agoliagbo a passé avec la France.
« On a signé avec le roi d'Abomey un traité qui lui limite son royaume et le met sous la protection de la France Abolagbo est arrivé en grande pompe et nous l'avons attendu bien 5 minutes dans la case qui avait été arrangée pour cette cérémonie, en dehors du poste, un endroit neutre. On a lu les différents articles du texte, c'est le système du protectorat (abolition des coutumes et, à ce sujet, le général a essayé de faire au nouveau Roi un vrai cours de droit pénal mais je ne crois pas qu'il y ait réussi). Abolagbo a présenté des objections, il aurait voulu la contrée d'Allada, puis il a prétexté que c'était un jour funeste et il n'a pas signé le traité disant qu'il ne le signerait que le lendemain. Il est revenu le lendemain, toujours à grands bruits de tam-tam. Ses ministres ont encore rouspété sur les clauses du traité. Dodds n'a plus reçu leurs objections et ils ont tous apposé leur croix ou marque quelconque comme nous tous, les officiers, avions apposé la veille notre signature. Un incident a eu lieu et il peint bien le caractère de la race dahoméenne : le traité signé, le général rentra dans sa case, le capitaine Fonsagrives me dit en montrant un prince, « en voilà un qui n'est pas content, je lui ai fiché une calottée. » — « C'est une mauvaise tête » lui dis-je (je l'avais remarqué la veille). Le capitaine fait appeler l'interprète pour lui expliquer le motif de la calotte reçue, et comme le prince en question commençait un discours alors qu'on l'avait prié de se taire, il reçoit du capitaine un coup à la figure. Mais ce fut un prêté pour un rendu car, au même instant, le grand diable de Dahoméen fit résonner le ventre du capitaine par un solide coup de poing. On arrêta le prince, et le roi devait le faire raccourcir le lendemain ; j'ai oublié de prendre de ses nouvelles »¹.
Or ce prince qui reçut une calottée n’est tout autre que le Prince Adandéjan. Son geste de rendre coup pour coup montrait bien qu’il était de la lignée des hommes libres. Tout porte donc à croire que Béhanzin aurait négocié sa grâce contre la proposition de l’inclure dans son ambassade pour aller traiter directement avec le « Roi de France » La facilité avec laquelle la partie française a accepté de substituer une villégiature politique à une peine de mort trahissait l’hypocrisie du dialogue de sourd entre Béhanzin et ses conquérants. Cette facilité aurait tout de même pu mettre la puce à l’oreille du Noble Roi. Car elle aurait fait voir que cette peine de mort d’une haute portée politique pour le conquérant ne pouvait au mieux se commuer qu’en un éloignement à perpétuité.
Binason Avèkes.
¹ La Campagne du Dahomey (1893-1894), François Michel, édition l’harmattan, 2001
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